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Assises : assassinat sur fond de trafic de drogue

Un crime particulièrement violent, un accusé à tendance mythomaniaque et narcissique et une victime à la dérive dans les paradis artificiels, voilà l’affaire sur laquelle auront à se prononcer les jurés de la cour d’assisses. Les débats se dérouleront sur deux jours. L’accusé encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour assassinat. 

« Vous avez le droit au cours des débats de faire des déclarations, de répondre aux questions que l’on vous posera et aussi de vous taire si vous le désirez » prévient la présidente de la cour d’assises dès l’ouverture du procès. Steeve, l’accusé âgé de 22 ans, silhouette longiligne, acquiesce. La présidente présente alors les faits à la cour.

Le dimanche 29 octobre 2017 à 8h30, Moana, âgé de 26 ans, est découvert mort à son domicile, par ses locataires. Il gît sur un matelas, seul mobilier du bungalow situé dans une propriété à Toahotu, et à sa tête plusieurs traces de coups portés par un objet contondant. Du sang, il y en sur le matelas, mais aussi sur les murs, par projections. Pas de trace de l’arme du crime, pas d’ADN, aucun indice, rien.

La victime est connue pour sa consommation de stupéfiants, ice et paka, et aussi parce que la propriété dans laquelle il vit et qui appartient à ses grands-parents, était un temps un rendez-vous incontournable des marginaux de la presqu’île qui venaient fumer, boire et faire la fête.

Sur la propriété, outre le bungalow, il y a une maison dans laquelle vivent deux couples, locataires de la victime. Ceux-ci indiquent aux gendarmes que la dernière fois qu’ils l’ont vu vivant, c’était la veille aux environs de 20h30.

Il aiguille les gendarmes sur des fausses pistes

Les gendarmes auditionnent l’entourage proche du jeune homme et recueillent des témoignages dans le voisinage. Parmi ceux-ci, celui d’une jeune femme qui explique que dans la soirée de samedi, près de l’arrêt de bus où les jeunes se retrouvent pour jouer au kikiriri, elle a rencontré un « Polynésien, grand et mince, habillé de sombre qui s’appelle Teva » qui lui a posé des questions sur la victime. Après avoir bu ensemble et fumé un joint elle lui propose d’aller en boite de nuit. Il l’accompagne, mais au dernier moment ne rentre pas dans l’établissement. Plus tard, elle le revoit dans un magasin, mais celui-ci fait mine de ne pas la connaitre.

Ayant la description de ce potentiel témoin, la section de recherche de la gendarmerie met la main dessus, un mois après les faits. Interrogé, il explique s’être rendu dans la propriété de la victime à l’occasion de fêtes, mais que ce fameux soir il était chez lui à 22h30 et qu’il n’était pas sorti. Quant à la jeune femme, elle le confondrait avec quelqu’un d’autre, en plus il se prénomme Steeve et non Teva. Il aiguille les gendarmes sur d’éventuelles personnes qui pourraient en vouloir à la victime au point de la tuer.

Un enquêteur reprend les 140 procès-verbaux

Un an se passe sans que la moindre piste ne viennent faire avancer l’enquête. Un enquêteur décide alors de reprendre les procès-verbaux des auditions, 140. En comparant le témoignage de la jeune fille et celui de Steeve, il note pas mal de contradictions. Il le convoque à la brigade où Steeve réitère ses propos, « j’étais chez moi. » Mais cela ne satisfait pas l’enquêteur qui insiste au vu de certains éléments douteux de sa déposition. Steeve finit par craquer et avoue alors que les gendarmes n’avaient aucune preuve matérielle contre lui. « J’étais mal, cela m’a soulagé d’avouer », dira-t-il à la barre.

Il semblerait que la victime avait une dette de stupéfiants envers Steeve. Une dette qu’il dit se monter à un million. S’armant d’un pied de biche, il pénètre par escalade du mur d’enceinte, dans la propriété, pose le pied de biche un peu à l’écart du bungalow et se présente devant la victime qui est assise dans la seule pièce du fare, sur un matelas. Celui-ci n’ayant pas le moindre argent, Steeve le frappe à la tête à quatre reprises, le laissant mort. Ce n’est pas tout, il avouera aussi son intention de tuer les locataires de la victime, mais voyant qu’il y avait des enfants, il renoncera. Chez lui, il nettoiera le pied de biche le laissera ainsi que le t-shirt qui lui a servi à l’emballer, dans son jardin. Ils resteront là durant un an, soumis aux intempéries.

« Il essaie de se la jouer ‘gangsta’ mais n’a pas la carrure » 

À la barre le gendarme dit que l’accusé a tendance à fabuler quand il se décrit comme un gros dealer et que la victime lui devait un million. Selon lui, l’accusé cultivait un peu de paka avec la victime et faisait un peu d’huile de cannabis avec elle. Il semblerait qu’il y ait eu une embrouille entre les deux et que l’accusé était devenu persona non grata dans la propriété. Des témoins indiquent d’ailleurs que parfois les deux se retrouvaient à l’arrêt du bus où l’on joue au kikiriri, et quand ils se voyaient ça se passait mal. Ils en sont venus aux mains au moins une fois. « Mais la victime était plutôt costaud alors que lui est plutôt malingre » explique le gendarme qui poursuit, « il était particulièrement remonté contre la victime. Il essaie de se la jouer ‘gangsta’ mais n’a pas la carrure. »

 Visiblement à la recherche d’une notoriété qu’il l’assiérait parmi les caïds de la presqu’île, il lui est arrivé, lors de soirées arrosées, de se vanter auprès de quelques-uns d’être l’auteur du crime, mais personne ne le croyait. « Quand certains entendaient cela, ils se foutaient de lui, personne ne le prenait au sérieux. Ils disaient de lui que c’était un beau parleur, un voleur, mais qu’il était plutôt sympathique » conclut le gendarme qui met en doute le montant de la dette, « un million, je n’y crois pas, ce devait être des dettes de l’ordre de 10 000 fcfp ou peut-être un peu plus. »

Il voulait le rosser, pas le tuer

Interrogé ce lundi, Steeve explique qu’il voulait juste rosser Moana. « Je voulais juste le rosser, pas le tuer. Mais je n’étais pas dans mon état normal, j’avais pris de l’ice, bu du rhum, fumé du paka et pris des champignons. Je voulais juste récupérer ce qu’il me devait. Il m’a mis dans une colère inexplicable et les coups sont partis. »

La présidente lui fait remarquer ses différentes dépositions et ses contradictions, il rétorque en regardant fixement la famille du défunt, « ce qui est vrai, c’est qu’il y en a plein qui voulait lui casser la gueule, il devait de l’argent à tout le monde. » Il l’assure, « il me devait au moins un million, je n’aurais pas fait cela pour 10 000 Fcfp. » Il explique alors que durant les quatre années où ils se sont fréquentés, il aurait fourni à la victime, « pour au moins 40 à 50 millions de paka et d’ice à revendre. » Il ajoute aussi qu’il avait peur que Moana le balance car le lendemain de son décès il était convoqué au tribunal pour une histoire de stupéfiants.

Quant à l’origine de l’ice, il se montre plutôt discret, craignant pour sa vie. Une crainte qui selon lui l’a fait se rendre chez Moana pour récupérer l’argent car on lui aurait mis, « un 8 mm sur la tempe pour que je règle mes dettes d’ice. » Il conclut, « j’suis pas fier de moi, j’ai flingué ma jeunesse, c’est la drogue qui me poussait à faire des trucs comme ça. »

La présidente de la cour le reprend, « vous nous dites que vous ne vouliez pas le tuer, mais juste lui faire peur. » « Oui.» « Mais dans ce cas pourquoi avoir caché le pied de biche et ne pas être rentré avec dans le bungalow pour l’impressionner ? » « J’sais pas, les faits sont faits. » À chaque question embarrassante, ce sera sa réponse, « j’sais pas, je n’étais pas un état normal », etc.. Difficile de cerner le véritable mobile. Dettes ? Vengeance ? Pour l’heure, nul ne le sait. L’accusé revient sans cesse sur ses déclarations sans pour autant nier les faits. La seule déclaration qui ne varie pas, c’est qu’il ne voulait pas le tuer. À la question « vous en pensez quoi de tout cela ? », il répond, « j’suis dans la merde, j’suis en prison, j’ai niqué ma jeunesse à cause de la drogue et je n’ai plus de nouvelles de ma famille. »

L’avocate des parties civiles, Me Algan, prend la parole et le questionne. « Est-ce que votre image est importante pour vous ? » décelant en lui un narcissique en puissance. « Non pas du tout » répond-t-il, sentant l’embrouille venir. Elle l’interroge sur son business, « j’suis pas le boss de la drogue » se défend-t-il.

Interrogé sur quotidien carcéral, il explique qu’il bosse en cuisine, mais « j’suis responsable de moi-même, il n’y a personne qui me dise quoi faire » avec un brin de fierté dans la voix.

Des failles narcissiques

Un psychologue qui s’est entretenu longuement avec l’accusé est appelé à la barre afin de dresser un portrait susceptible de mieux cerner sa personnalité. Sans surprise, il déclare que l’accusé est intelligent, mais qu’il a « des failles narcissiques, un sentiment d’être abandonné et mal aimé, il est intolérant à la frustration ce qui a entraîné son passage à l’acte, aidé par les drogues qu’il a ingurgitées avant les faits. » Selon lui, ses prises de stupéfiants et d’alcool sont là pour « apaiser son mal existentiel. Il recherche l’apaisement. »

Curieusement alors que depuis le début du procès, Steeve regarde droit dans les yeux ses interlocuteurs, attitude peu courante au tribunal, pour la première fois il se tient la tête dans les mains, les yeux rivés au sol, quand le psy évoque son enfance. « Il n’a pas connu son père et ne veut pas le connaître, quant à sa mère elle l’a abandonné, le confiant à ses grands-parents. Il a une importante blessure sur le plan affectif et a développé une angoisse liée à l’abandon. »

Pour le psychologue, une phrase que lui a dite l’accusé est la clé de tout : « quand je suis normal, je ne suis pas bien. Le paka me calme et l’ice me rend sûr de moi. » Concernant d’éventuels regrets sur son acte, le psychologue assure que l’accusé en a, « il dit être hanté par l’image du sang et dit que tous les soirs il pense à la victime et qu’il pleure. J’ai récolté ce que j’ai semé, m’a-t-il dit. » Pour conclure, il estime que l’accusé est « une personnalité qui peut évoluer favorablement à condition qu’on l’accompagne. »

Les débats se poursuivront demain.

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