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Au Tibet, le boom touristique, pour le meilleur et pour le pire

Nyingchi (Chine) (AFP) – Suite présidentielle à 880 euros, meubles tibétains, vue sur les pics enneigés… Le luxueux hôtel Artel est le symbole des ambitions chinoises au Tibet: augmenter de moitié le nombre de touristes dans la région d’ici 2020 et « aider » les Tibétains. 

Au risque de diluer l’identité tibétaine, soulignent les voix critiques.

L’établissement de 103 chambres a ouvert mi-août à Lulang, un village pittoresque situé à 3.700 m d’altitude dans le sud-est forestier de la région autonome du Tibet. 

L’hôtel fait partie d’un complexe touristique édifié sur un ancien quartier rasé de la commune: surnommé « la Suisse de l’Orient », le nouveau Lulang possède désormais une rue commerçante, un lac et un centre artistique. Il est présenté par les autorités comme un projet-phare de l’industrie touristique locale. 

« Le Tibet avait accueilli 4 millions de touristes chinois en 2005. On en espère 24 millions cette année et 35 millions en 2020 », affirme Wang Songping, vice-directeur de la Commission régionale du développement touristique. 

Pour atteindre ces objectifs, les autorités veulent faire passer le nombre de lits de 100.000 à 150.000, misant notamment sur le développement subventionné du tourisme « chez l’habitant ».

Côté infrastructures, une autoroute (2017) et une ligne TGV (2021) relieront la capitale régionale, Lhassa, à Nyingchi, la ville-préfecture dont dépend le village de Lulang. 

Une autre ligne TGV entre Nyingchi et Chengdu, capitale de la province voisine du Sichuan (80 millions d’habitants), doit être achevée en 2022. 

Elle devrait stimuler la venue de Chinois « de l’intérieur », réduisant encore la proportion de Tibétains au Tibet (90% officiellement, nettement moins selon les opposants).

Depuis l’ouverture en 2006 de la première ligne ferroviaire reliant le Tibet au reste de la Chine, le nombre de touristes chinois a bondi de 20% en moyenne par an, selon M. Wang. 

– ‘Les derniers à en bénéficier’ –

« Le tourisme est tout à fait indiqué pour le développement économique du Tibet. C’est le tourisme de masse qui pose de gros problèmes », souligne Françoise Robin, tibétologue à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) à Paris. 

« Les spectacles présentés aux visiteurs chinois sont des relectures de l’histoire favorables à la Chine, ou des spectacles de chants et danses sinisés. Les acteurs tibétains eux-mêmes finissent par se faire à ces formes dénaturées », déplore-t-elle.

Pékin a réaffirmé son contrôle sur le Tibet en 1951, après quatre décennies d’indépendance de facto du « toit du monde », et insiste sur le développement économique qu’il a apporté au territoire himalayen.

Le tourisme y génère des revenus croissants: 20 milliards de yuans (2,7 milliards d’euros) actuellement, et 50 milliards à l’horizon 2020, espère Wang Songping.

Reste que les professionnels du tourisme sont surtout des Chinois Hans, l’ethnie majoritaire (92%) dans le pays. 

« Les Tibétains, moins connectés à la Chine +de l’intérieur+, maîtrisant moins bien le chinois, ayant moins d’argent et de réseaux sont parmi les derniers de la chaîne à bénéficier de la manne », observe Mme Robin.

A l’hôtel Artel, Baima Cicuo, jeune étudiante tibétaine de 17 ans en alternance comme femme de chambre, se dit satisfaite …devant son patron.

« Avant, je dépendais de mes parents agriculteurs. Désormais, je gagne 1.000 yuans par mois (130 euros) et j’apprends plein de choses », explique-t-elle dans un mandarin courant. 

« J’aimerais aussi aller travailler en Chine de l’intérieur. »

L’hôtel Artel est la propriété de Poly, un grand groupe étatique chinois spécialisé dans l’immobilier, la culture et les ventes d’armes, qui a investi 280 millions de yuans (37 millions d’euros) dans l’établissement.

– ‘Impact positif’ –

« Mais ce n’est pas rentable économiquement. L’objectif numéro un qu’on nous a assigné, c’est d’aider la population locale », déclare Li Mingxin, le directeur général de l’établissement, assurant que les Tibétains représentent plus du tiers des employés.

L’hôtel ne désespère cependant pas d’être rentable. 

« Ce serait plus simple si le gouvernement facilitait la venue de touristes étrangers », admet Ray Peng, la directrice commerciale.

Les étrangers représentent moins de 5% des visiteurs au Tibet. 

Ils ne peuvent s’y rendre qu’après avoir obtenu, en plus d’un visa pour la Chine, une « lettre d’entrée » pour la région autonome, et doivent obligatoirement voyager en groupe, via des agences agréées.

Plusieurs hôtels de chaînes internationales ont déjà ouvert à Lhassa: un Intercontinental, un Shangri-La, un St-Regis et un Sheraton. 

Un Sofitel et un Hilton devraient suivre.

« Si touristes et médias étrangers peuvent voyager librement au Tibet et recueillir les véritables opinions des gens, alors le tourisme peut avoir un impact positif », déclare à l’AFP Acharya Yeshi Phuntsok, vice-président du Parlement tibétain en exil.

« Sinon, personne ne parlera des problèmes des Tibétains. »

Des bâtiments vides à Lulang, près de Nyingchi dans la région autonome du Tibet en Chine le 13 septembre 2016. © AFP

© AFP JOHANNES EISELE
Des bâtiments vides à Lulang, près de Nyingchi dans la région autonome du Tibet en Chine le 13 septembre 2016

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