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Il n’y a plus aucun soignant à Makemo

Déjà sous-dotée en personnel depuis des années, Makemo n’a plus aucun soignant à partir de ce lundi. Ni médecin, qui vient de terminer son séjour, ni infirmière, qui a été agressée vendredi par une patiente, au point d’avoir 15 jours d’ITT, et qui veut quitter l’île, ni auxiliaire de soins qui est en arrêt longue maladie, ni même de secrétaire. Sans compter l’état de délabrement du centre médical et du véhicule affecté. L’infirmière agressée a accepté de témoigner pour Radio1.

Marie-Élodie rend sa blouse. En poste à Makemo depuis 2022, cette infirmière diplômée d’État, avec 15 ans d’expérience, a été victime vendredi d’une agression, la goutte qui a fait déborder le vase. Depuis vendredi soir, il n’y a plus aucun soignant sur l’île de Makemo.

Le médecin est parti en juillet 2023 : sa compagne infirmière a réussi son concours, et ils sont maintenant à Huahine. Marie-Élodie restait donc la seule infirmière de l’île. « Déjà en décembre 2022, raconte Marie-Élodie, il y a eu une période de six semaines pendant laquelle il n’a pas été remplacé, et on s’est retrouvé avec seulement deux infirmières. Et on avait déjà alerté notre direction en disant qu’on ne se sentait pas en sécurité, la mairie avait fait une publication en demandant aux gens de se calmer et de nous respecter. Ensuite on a eu un taote vacataire qui est resté deux mois et demi, et puis dernièrement une médecin qui est restée un peu moins de trois mois et qui a terminé vendredi, elle est partie sur Fakarava. »

En théorie, il y a également une auxiliaire de soins, proche de la retraite, « mais elle était tout le temps partie dans d’autres îles pour faire des remplacements en poste isolé. Et depuis quelque temps elle est en arrêt longue maladie » dit Marie-Élodie. Enfin, la secrétaire du centre médical est une jeune femme qui ne dépend pas de la Direction de la santé mais du Sefi puisqu’elle est en stage pour personne handicapée, qui n’a pas été renouvelé.

« Vendredi c’était le dernier jour du médecin, plein de patients sont venus pour faire notamment des renouvellements d’ordonnance », raconte l’infirmière. La médecin voulait voir cette patiente connue pour des problèmes psychiatriques, « parce qu’on appréhendait beaucoup la suite. »  Arrivée très énervée après plusieurs appels, la femme n’a pas supporté de devoir attendre et a frappé l’infirmière.

C’est une autre patiente qui a entendu les cris de Marie-Élodie et qui est venue la secourir avec le médecin et la secrétaire. « En fait elle met le bazar à Makemo pour partir à Tahiti quand elle l’a décidé, dit Marie-Élodie de son agresseuse, et ensuite elle met le bazar à Tahiti quand elle veut revenir à Makemo. Mais à Tahiti la psychiatre n’a pas voulu l’étiqueter « psy », et nous, les consignes qu’on a, c’est de ne plus accéder à ses demandes, de voir avec les services sociaux, voire les mutoi. »

Cette agression vaut à Marie-Élodie 15 jours d’interruption temporaire de travail. « Après la patiente est venue à mon domicile, au coin de ma terrasse où j’étais avec mes enfants, elle disait, ah Marie-Élodie excuse-moi, en ricanant. Elle a fini par partir alors que j’appelais les mutoi. Lundi je vais déposer plainte. » Outre l’épuisement professionnel qu’elle ressent, l’infirmière ne s’estime plus en sécurité.

« Je ne suis pas médecin, et on en arrive à faire des actes médicaux faute de médecin sur l’île », dit Marie-Élodie qui souligne que « la gestion administrative est très lourde aussi » et que les consultations en télémédecine sont très longues à obtenir.

Un centre médical délabré

Les conditions matérielles de travail sont tout aussi difficiles, et connues de ses supérieurs : pas d’eau courante dans la salle des urgences, portes et poignées cassées, des fuites dans la toiture, et une voiture de service inutilisable faute de budget pour remplacer les pneus lisses, dont un a explosé.

L’entretien du centre médical est de compétence communale, mais la mairie et la Direction de la santé se renvoient la balle, dit Christophe Psychogios, juriste spécialisé en droit de la santé et secrétaire général adjoint du Syndicat de la fonction publique.

« Les gens ne comprennent pas forcément (…), on n’est pas du tout en mesure de répondre à leurs besoins »

Marie-Élodie a pu parler à sa hiérarchie. Qui lui propose d’aller à Fakarava, où le médecin en congés est donc remplacé par celle qui vient de quitter Makemo, mais où elle retrouverait une situation tout aussi dramatique : « Une infirmière est en arrêt, elle est hospitalisée en psychiatrie, l’autre a pris des congés, et il y avait notre cadre qui était sur place pour calmer un peu la population avec qui ça devient compliqué », dit-elle. « Les gens ne comprennent pas forcément, il y a des amalgames qui sont faits. Tout ce qu’ils veulent c’est avoir quelqu’un en consultation, avoir leurs médicaments en temps et en heure, avoir leurs évasans et leurs rendez-vous, sauf que quand on se retrouve à un ou deux on n’est pas du tout en mesure de répondre à leurs besoins. »

Et Marie-Élodie, avec deux jeunes enfants et un mari enseignant qui s’est mis en disponibilité pour la suivre à Makemo, « n’arrive plus à se projeter, dit-elle. On est en Polynésie depuis des années, moi ça fait plus de 10 ans que je suis là, et mon mari ça fait plus de 30 ans, on savait où on mettait les pieds. Mais les conditions de travail se sont tellement dégradées ces derniers temps que ce n’est plus possible. La porte de sortie, c’est rentrer en France, mais on n’a pas non plus envie de partir comme ça. » Elle voudrait rentrer sur Tahiti, et être infirmière scolaire : « Je me rends compte qu’il faut faire de la prévention, il faut faire de l’éducation, moi j’aime bien transmettre, et puis je veux une vie de famille digne de ce nom. »

Christophe Psychogios se dit d’autant plus préoccupé que la circulaire présidentielle sur le gel des embauches a douché les espoirs de voir la situation résolue rapidement. Sur un besoin de 36 infirmiers diplômés d’État, il n’y en a que 13. Et un seul gestionnaire des itinérants. « Est arrivé ce qui devait arriver, la Direction de la santé savait très bien qu’il n’allait rester qu’une seule infirmière sur l’île. La situation de Makemo est très symptomatique de ce qui va arriver dans beaucoup d’autres endroits. Les services de base ne sont plus assurés, et les agents, enfin ceux qui restent, sont en danger. »

Ce lundi matin, le ministère de la Santé indique qu’une aide-soignante itinérante sera envoyée à Makemo ce mercredi.

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Tavevo 04/03/2024

1 Commentaire

  1. Kati
    4 mars 2024 à 8h02 — Répondre

    Scandaleux, aucune consideration pour les soignants…et dans les iles bien plus qu’ailleurs…
    Infirmière moi même vivant à tahiti…c’est déplorable !

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