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Laurent Ballesta : « Il y a un vrai mystère autour des grands requins-marteaux »


Le biologiste et photographe sous-marin, à la tête des expéditions Gombessa, revient d’une mission de repérage à Rangiroa. Après les cœlacanthes en Afrique du Sud, les requins et mérous de Fakarava, ou les profondeurs de l’Antarctique et de la Méditerranée, son équipe propose de s’intéresser au grand requin-marteau. 

Malgré ses projets photographiques, documentaires ou scientifiques tout autour de la planète, Laurent Ballesta ne semble jamais rester bien loin du fenua. Il y a 20 ans, déjà, il participait au tournage de La Constellation des îles, film diffusé dans le cadre d’Ushuaïa Nature. Et revenait dès l’année suivante pour une série de photos sous-marines pour Tahiti Tourisme. Ont suivi différentes expositions, invitations, missions et tournages. Entre 2014 et 2018, le Montpelliérain et son équipe deviennent même des fidèles de la passe Sud de Fakarava. Des 3 500 heures de plongée cumulées, sur place, son équipe tire plusieurs études et ouvrages et surtout deux documentaires à succès, Le Mystère mérou et 700 requins dans la nuit, réalisés par Gilles Kebaïli.

Ces deux dernières semaines, c’était aux abords de la passe de Tiputa qu’on pouvait croiser le réalisateur, Laurent Ballesta, accompagnés de quelques spécialistes de l’image et de la faune marine. Rangiroa, il connait bien : en 1998, diplôme de biologie en poche, c’est là qu’il avait été affecté pour son service national. Deux ans de recherche sur les larves de poissons avec le service des ressources marines, des rencontres, et un « tournant » dans la passion du photographe naturaliste :

Depuis 2013, Laurent Ballesta concentre une bonne partie de son énergie sur les expéditions Gombessa qui « visent à témoigner, grâce à des méthodes de plongée innovantes, des mystères inaccessibles du monde sous-marin ». Comme le cœlacanthe (gombessa en comorien), « fossile vivant » filmé pour la première fois par 120 mètres de fond en Afrique du Sud. Ou les écosystèmes profonds de l’Antarctique, étudiés lors de plongées polaires inédites. L’accouplement des mérous – dont la captation a nécessité une plongée record de 24 heures – ou les chasses nocturnes de requins gris de Fakarava en font aussi partie. Plus récemment, c’est en Méditerranée que l’équipe a repoussé ses limites, en restant 28 jours en saturation – et 400 heures entre -60 et -144 mètres – pour explorer les écosystèmes coralligènes.

« Tous les ingrédients sont là »

Cette fois, les grands requins-marteaux, dont Rangiroa est un site d’observation unique au monde, que l’équipe veut travailler. Mystère scientifique, défi de plongée et promesse d’images inédites… Pour Laurent Ballesta, aucun doute, le sujet rassemble bien « tous les ingrédients » nécessaires à une nouvelle expédition polynésienne. Des Sphyrna mokarran, difficiles à approcher à moins de passer du temps entre 60 à 70 mètres de fonds, dans les courants forts de la passe de Tiputa, on ne sait « presque rien, à part qu’ils existent », explique-t-il. Habitudes alimentaires, reproductives, migration, population… « Il y a un vrai mystère autour de ces requins », protégés en Polynésie mais jugés en danger critique d’extinction au niveau mondial. Quant aux images, à part quelques films amateurs, dont une scène de chasse tournée à Fakarava, rien n’a été filmé du comportement de ce grand prédateur qui peut dépasser les 6 mètres de long. Gombessa réussira-t-elle ce nouveau pari ? Les repérages de ces derniers jours, même s’ils laissent « beaucoup de questions ouvertes », encouragent en tout cas à poursuivre le projet.

Rien ne se fera, quoiqu’il arrive, sans la bénédiction des autorités du Pays, et notamment de la Diren, à qui a déjà été transmis un protocole scientifique. Balises et « tags » acoustiques, études génétiques pour estimer la taille de la population, prélèvements de tissus pour étudier l’alimentation… Des moyens que l’équipe de Gombessa propose de mettre en œuvre grâce à ses sponsors, et ses partenariats scientifiques. Grâce, aussi, à son alliance avec l’association locale Mokarran Protection Society, implantée à Rangiroa et dont le travail de recensement et d’identification des requins à commencé depuis bientôt trois ans. Des travaux qui suggèrent déjà qu’une bonne partie des grands requins-marteaux qui fréquentent Tiputa, notamment entre décembre et mars, sont des grands migrateurs. Reste à savoir ce qu’ils viennent y faire. Pour Laurent Ballesta hors de question de troubler ces animaux réputés sensibles au stress, par des techniques de feeding qui ont déjà « dénaturé » des populations dans certaines îles des Bahamas.

L’équipe de Gombessa et de Mokarran. ©G.K/Gombessa

Un requin « fédérateur »

Grâce à ces études, qui pourraient commencer dès la fin d’année, et un éventuel documentaire, l’équipe de Gombessa et de Mokarran, allié dans le projet « Tamataroa » espèrent faire avancer la connaissance scientifique. Et faire savoir, bien au-delà des frontières du fenua, que les Tuamotu sont un sanctuaire pour ses requins en danger. « J’avoue que mon premier moteur, c’est la vie sauvage, l’envie d’observer, d’explorer, assume Laurent Ballesta. Mais on veut vraiment donner du sens à tout ça. Et la chance qu’on a dans ce travail, c’est que le grand requin-marteau est animal fédérateur ». Pas aussi gênant, pour les pêcheurs ou les propriétaires de parc à poissons que les requins gris, pas aussi effrayant pour le public, que les tigres et autres blancs, et pourtant si impressionnant dans l’eau… « C’est pour ça que les enquêtes citoyennes menées par la Mokarran Protection Society permettent d’obtenir des témoignages incroyables, d’une diversité, d’une quantité jamais égalée, pointe le biologiste. Tout le monde a envie d’en parler. Et ça c’est très appréciable parce que ça peut faire gagner beaucoup de temps à la recherche ».

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