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Nucléaire : pour Jean-Marc Regnault, l’État va faire des concessions par « intérêt stratégique »

Jean-Marc Regnault, qui publie ces jours-ci l’ouvrage pédagogique Le nucléaire en Océanie, tu connais ?, estime qu’Emmanuel Macron pourrait profiter de la table ronde à Paris, entamée cette nuit, et de sa visite en Polynésie pour aller plus loin dans la reconnaissance et la réparation du fait nucléaire. Mais pour l’historien, plus que les revendications polynésiennes, ce sont les intérêts militaires de la France dans la zone indo-pacifique qui vont motiver le chef de l’État.

« C’est un hasard » et plutôt du genre heureux pour Jean-Marc Regnault. Alors qu’ont débuté cette nuit à Paris des discussions entre l’État et une délégation polynésienne réduite sur le nucléaire, l’historien consacre au dossier un nouvel ouvrage à paraitre ces jours-ci. Le nucléaire en Océanie, second opus de la collection Tu connais ?, était programmé « de longue date » pour une sortie autour de ce 2 juillet, date du 55e anniversaire du premier essai au fenua. Les débats de ces derniers mois et la programmation de cette table ronde « n’ont ni accéléré ni retardé ce travail », assure l’auteur. Mais celui qui a publié voilà tout juste un an deux ouvrages « jumeaux » consacrés à Oscar Temaru et à Gaston Flosse le reconnait : « Je regrette un peu de ne pas avoir pu publier avant que la délégation parte à Paris ».

Car, que l’on appréhende déjà très bien le sujet ou qu’on le découvre, Nucléaire en Océanie, Tu connais ? a de quoi donner de solides repères sur les essais dans le Pacifique. Illustré, organisé en questions chacune traité sur deux pages, l’ouvrage se présente comme un outil « très pédagogique » que l’auteur espérerait voir un jour dans les mains d’enseignants. « On a essayé de faire en sorte que l’intérêt puisse sans cesse se renouveler », explique l’historien.

Faire court sans caricaturer. Un défi sur un sujet si complexe, d’autant que Jean-Marc Regnault a voulu « traiter la question dans toute sa globalité ». Histoire de la course atomique, jeux d’alliances entre puissances, argumentations et manipulations pour faire passer l’idée des essais, chappe de plomb sur le sujet, positions politiques changeantes et intérêts financiers locaux… Le livre, point par point, détaille le contexte international régional et territorial dans lequel la bombe s’est installée et s’est expérimentée à Moruroa. « Et dans le Pacifique », précise Jean-Marc Regnault, qui a pris soin de détailler l’histoire, moins connue, des essais américains ou anglais dans la région, de comprendre le « pourquoi » du choix du Pacifique pour tester ces engins destructeurs.

L’autre défi, c’est bien sûr celui de la neutralité, beaucoup revendiquée, rarement atteinte sur la question des essais. Les lectures et débats futurs diront si tout le monde, du côté des anti-nucléaires notamment, reconnaitront une réussite de ce côté. En attendant, l’historien, lui, dit avoir pris « un maximum de recul », y compris sur l’épineuse question des retombées sanitaires, environnementales, économiques et sociales des tirs. Pas question « d’accabler les États ni de justifier les expérimentations nucléaires ». « L’idée c’est d’éclairer l’histoire en la replaçant dans son contexte », insiste-t-il.

« Avouer, reconnaitre et promettre »

Rappelant à quel point, malgré le secret toujours imposé sur une partie des données, les documents sont variés et souvent contradictoires dans ce dossier, l’auteur dit avoir peser chaque source, chaque témoignage. « Certains ont tendance à  prendre tous les documents comme argent comptant », lance-t-il, à l’adresse d’un autre livre sur le nucléaire, Toxique paru en début d’année. Un livre-enquête du journaliste Tomas Statius et du chercheur Sébastien Philippe, qui se concentre sur les conséquences sanitaires des essais et pointe « les secrets, négligences et mensonges de l’État » en la matière. « Il rapporte exactement ce que la commission d’enquête de 2005 avait rapporté à l’assemblée territoriale », s’agace Jean-Marc Regnault, déjà auteur de plusieurs ouvrages sur la bombe. Reste que c’est bien Toxique qui a relancé le débat sur les essais, et qui a motivé la table ronde de ces 1er et 2 juillet.

La Polynésie peut-elle attendre quelque chose de ce rendez-vous convoqué par l’Élysée, et très critiqué par les associations anti-nucléaires ? Oui réponds l’historien. D’abord parce que l’État « depuis la loi Morin de 2010 va toujours un peu plus loin dans la reconnaissance« . Beaucoup dénoncent toutefois un pas très lent vers la « vérité et la justice », symbole du manque de bonne volonté des dirigeants. Mais deux ans après un colloque sur le sujet*, Jean-Marc Regnault explique qu’aux yeux de la France, l’intérêt de la région océanienne a évolué, elle, très vite, notamment depuis la présidence de François Hollande. « Il y a un objectif de ressources économiques, mais il y a surtout une stratégie de l’Indo-pacifique, argumente-t-il. La France tenant tellement a avoir des bases en Océanie pour contrer la Chine – il suffit de voir les Rafales de la semaine passée – il me semble qu’elle va céder sur un certain nombre de points, en avouant, reconnaissant, et en promettant des compensations supplémentaires ». Bref, « ce ne sont pas les revendications des Polynésiens qui vont faire changer l’opinion d’Emmanuel Macron, c’est la nécessité de l’Indo-Pacifique ».

* Indo-Pacifique et routes de la soie, les nouvelle stratégies mondiales, tenu fin 2019 à l’Université de Polynésie, et dont les actes devraient sortir à la fin du mois

 

 

 

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