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Un mutoi condamné pour agression sexuelle

En général  l’uniforme des policiers, qu’ils soient de la police nationale ou municipale, inspire confiance. Mais bien mal en a pris à Vaihere, puisqu’elle a été agressée sexuellement par le mutoi qui la ramenait chez elle. Il a écopé de quatre ans de prison dont deux avec sursis, avec mandat de dépôt.

C’est l’histoire d’une femme dont les seuls torts, selon ses propres paroles, ont été d’être légèrement ivre, d’être court vêtue, mais surtout d’avoir fait confiance à un homme portant l’uniforme. Celui de la police municipale de Pirae. Les faits se sont déroulés à Arue, durant la nuit du 1er au 2 décembre 2017.

Alors qu’elle revient d’une soirée, Vaihere* ressent une grosse montée de fatigue au volant de son véhicule. La veille, elle avait peu dormi et à l’occasion de la soirée, elle avait un peu bu. Craignant un accident, elle décide sagement de se ranger sur le bas-côté, au niveau des terrains militaires de Arue, et de faire un petit somme. Elle s’enferme dans la voiture et avant de s’assoupir, elle appelle son mari, alors à Punaauia, pour qu’il vienne la chercher. Peu de temps après, une patrouille de deux mutoi de Pirae passe devant la voiture et l’un d’eux remarque qu’il y a quelqu’un à l’intérieur. Il descend du véhicule et tape à la vitre.

Le mutoi lui demande ce qu’elle fait là et Vaihere, encore envapée, lui explique la situation. C’est alors que, faisant fi du règlement qui impose aux mutoi de rester dans les limites de leur commune, celui-ci lui propose de la ramener chez elle, à Erima. En confiance à la vue de l’uniforme, elle accepte, sachant que l’autre mutoi les suivra avec la voiture de service. Elle passe du coté passager et l’homme prend le volant.

« Je lui ai touché le sexe avec les doigts »

Et là, les versions divergent. Selon Teva*, le mutoi, la femme lui aurait dit qu’elle aimait les hommes qui portent l’uniforme, et que joignant le geste à la parole, alors qu’elle était à moitié allongée sur le siège, elle lui aurait pris la main pour la placer entre ses cuisses. « Je lui ai touché le sexe avec les doigts » reconnaitra-t-il dans sa déposition. Une version que conteste la femme qui explique qu’alors qu’elle commençait à se rendormir, « j’ai senti ses doigts sur mon sexe, et je lui ai demandé ce qu’il faisait. Il m’a demandé si je ne voulais pas qu’il me donne du plaisir et si j’habitais seule. Comme j’avais peur, j’ai dit oui. » En son for intérieur, elle pensait que l’autre mutoi était complice de son collègue.

Arrivés près de chez elle, il stoppe alors la voiture, en descend pour dire à son collègue de venir passer le récupérer une heure plus tard. Vaihere profite de cet instant pour téléphoner à son mari et lui demande où il est. Pas très loin, répond le mari. Entendant la conversation  sur le haut-parleur, Teva monte dans la voiture de patrouille et rentre sur Pirae. Il ne sera fait état d’aucun rapport à la hiérarchie alors que les mutoi doivent signaler tous faits survenus pendant leur patrouille, à plus forte raison quand ils quittent leur juridiction.

« J’étais recroquevillée en pleurs sur le canapé, me disant que c’est ma faute ce qui m’est arrivé »

« Quand mon mari est arrivé, j’étais recroquevillée en pleurs sur le canapé, me disant que c’est ma faute ce qui m’est arrivé, j’avais bu et je portais une robe courte. C’est mon mari qui m’a dit d’aller porter plainte. » Une plainte qu’elle mettra trois semaines à déposer car, « une amie à moi mariée à un policier m’a dit qu’ils se tenaient les coudes en cas de problèmes, qu’ils se soutenaient. »

Et de fait, alors qu’elle se plaint dans un premier temps à la police municipale de Pirae, on fait peu de cas de sa mésaventure, cherchant à demi-mot à la dissuader de faire état de cette affaire. Toutefois, au sein de la mairie, les langues commencent à se délier, concernant l’attitude du mutoi face à la gente féminine. Notamment celle d’une personne travaillant aux ressources humaines qui racontera que Teva, venu remplir un bordereau de congés, lui aurait tenu des propos osés : « je veux te bouffer la c…, quand je regarde des films de cul, je pense à toi. Je te dis ça car j’ai peur de te violer. »

D’autres bruits couraient à son sujet, comme une histoire avec une femme dans un fourgon et aussi son empressement à raccompagner des lycéennes à leur domicile. Bref une réputation de « chasseur dragueur » comme on l’aurait dit à une époque, heureusement révolue. « Prédateur » étant le terme qui convient mieux à sa personnalité.

Autre témoignage à charge, celui de son chef de service à qui il s’est confié au sujet de Vaihere. « Il m’a dit qu’il avait ramené une femme en état d’ébriété et qu’il avait touché son sexe. Il rigolait, je crois qu’il en était fier. Cela m’a énervé et je l’ai ramené au poste. » Quant au mutoi qui patrouillait ce soir là avec lui, il a déclaré que lors du chemin du retour, Teva n’a pas dit un mot sur la femme et qu’il n’a pas fait de rapport à ses supérieurs . « Mais c’est bien lui qui a demandé à la femme s’il pouvait la ramener chez elle. »

« Elle était consentante »

À la barre, Teva, 44 ans, est l’archétype du mutoi. Forte carrure et gros mollets qui supportent un ventre de buveur de bière. L’ancienne génération. Son regard est noir et peu amène. Sans son uniforme, il inspire plus la crainte que la confiance. Et à l’entendre devant le juge cette impression se confirme. Interrogé sur l’incident avec sa collègue de travail, il déclare, pensant se justifier, « elle arrivait toujours avec des décolletés, mini-jupe, toujours sexy et je lui ai dit ce que je pensais. »

Sur ce qui s’est passé dans la voiture, « quand je suis monté dans la voiture, elle m’a dit qu’elle aimait les gars en uniforme, elle m’a touché le torse puis la cuisse, mais j’ai repoussé sa main. J’ai continué à conduire, elle a mis ses pieds sur le tableau de bord, a écarté ses cuisses et elle a pris ma main en la mettant sur son sexe et m’a dit, vas-y, profites en. J’ai mis mes doigts dans son sexe, mais elle était consentante. »

« Un homme doit d’abord me séduire, et là je n’ai pas été du tout séduite »

Vaihere est alors appelée à la barre. C’est un petit bout de femme d’une quarantaine d’années, et visiblement mal à l’aise de parler de son histoire devant un auditoire. « Est-ce que quelque chose dans votre comportement aurait pu faire croire au mutoi que vous étiez consentante ? » lui demande le juge. Les larmes aux yeux elle fait signe que non, de la tête. « Est-ce que vous lui avez touché la cuisse ? » « Non. Si je l’ai laissé me ramener chez moi c’est parce que c’était un mutoi et je lui ai fait confiance. J’ai été surprise par le fait qu’il me raccompagne, en général les policiers ne font pas cela. Je lui ai demandé s’il pouvait le faire, il m’a dit que oui. » Elle poursuit, « je n’étais pas vraiment saoule, mais fatiguée et je sais faire la différence entre une main posée sur ma cuisse accompagnée d’un ‘ça va ?’ avec un ‘ça va’ et une main plus qu’amicale. »

Le juge se fait inquisiteur, « monsieur dit que c’est vous qui aviez fait le premier pas. Je vous repose la question car c’est grave. C’est la vérité que vous me dites, ou vous avez été entreprenante et maintenant vous avez honte ?» Aussi choquante que puisse sembler cette question, le juge se doit de la poser car dans cette affaire c’est parole contre parole, et c’est là que la fameuse formule de « l’intime conviction » prend tout son sens.

« Je ne voulais pas de rapport avec lui » assure Vaihere reprenant du poil de la bête, « j’ai des critères en matière d’hommes. Un homme doit d’abord me séduire, et là je n’ai pas été du tout séduite par lui. »

Le juge semble se satisfaire de la réponse et rappelle Teva à la barre. « Vous avez une réaction par rapport à ce que vient de dire madame ? » « Je maintiens ma déposition. » « Vous comprenez que si le tribunal la croit, votre position va aggraver votre situation. » « Je maintiens (…) elle a pris ma main et l’a frotté contre son sexe et mes doigts ont pénétré par accident. » « Mais, vous êtes plus fort qu’elle, vous auriez pu retirer votre main ? » « Cela s’est passé vite. » Murmure de désapprobation dans la salle.

« Cette fois, il est tombé sur une femme courageuse »

Pour l’avocate de Vaihere, « il s’est vanté auprès de son chef de lui avoir touché le sexe. C’est un prédateur sexuel. » Elle rappelle les divers témoignages recueillis auprès de ses collègues, et poursuit, « mais cette fois, il est tombé sur une femme courageuse qui a eu le courage d’en parler à son mari et de porter plainte. » Pointant du doigt l’accusé elle assène, « pour lui, c’est un petit incident rigolo qui le fait rire. » Elle demande un million de dédommagement au titre de préjudice moral.

Quatre ans de prison dont deux avec sursis requis

Du coté de la procureure le ton est vindicatif. « On ne parle pas que de petites caresses sur la cuisse là, mais de pénétration, de viol, on va sur de la réclusion criminelle. Ce sont des attouchements violents sur une femme vulnérable. Vous êtes un mutoi censé nous protéger et vous avez abusé de votre position. Il va falloir que l’on tranche. Êtes vous la victime d’une femme avide de relations sexuelles que vous auriez pu repousser vu votre carrure, ou avez-vous agressé sexuellement cette femme ? » Pour elle, « votre version est incohérente, vous pouviez la repousser, vous n’avez pas prévenu votre coéquipier, ni votre hiérarchie et vous n’avez pas fait de rapport sur ces faits. » S’adressant au juge, « les faits sont graves. Il est en tenue et abuse de sa position. C’est inadmissible, c’est un représentant de l’ordre qui est là pour nous protéger. » Elle requiert quatre ans de prison dont deux avec sursis avec mandat de dépôt et interdiction définitive d’exercer comme policier municipal, car « visiblement il n’a pris conscience de ses actes. »

« Le dossier se résume à un comportement inadapté de madame et aussi de mon client »

Du coté de la défense, si « on ne va pas jusqu’à dire qu’il a été victime d’une alcoolique nymphomane », pour autant, « mon client n’est pas un prédateur sexuel. La victime a eu un comportement ambigu. Il était devant une opportunité d’acte sexuel, mais ce n’est pas un prédateur sexuel. » Et de conclure en affirmant que « le dossier se résume à un comportement inadapté de madame et aussi de mon client qui n’avait pas à succomber. Soit sous l’emprise de l’alcool elle s’est laissé aller et après elle a voulu retrouver sa dignité, ou soit c’est la culpabilité d’une épouse qui a conduit à cette version des faits. » Il demande la relaxe pour son client.

Après en avoir délibéré, le tribunal a suivi les réquisitions de la procureure et condamné Teva à quatre ans de prison dont deux avec sursis, avec mandat de dépôt et interdiction définitive d’exercer comme policier municipal. Il a également prononcé l’exécution provisoire – ce qui signifie qu’en cas d’appel l’interdiction d’exercer reste valable jusqu’au jugement en appel – ainsi que son inscription au fichier national des délinquants sexuels. Il devra aussi s’acquitter de 600 000 Fcfp au titre de préjudice moral à verser à la victime. À l’annonce de la sentence, Vaihere fond en larmes et tombe dans les bras de son mari.

*Prénom d’emprunt

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