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Air Moorea : pour la défense, « ce bénéfice du doute doit innocenter les prévenus »

Les plaidoiries de la défense dans l’affaire Air Moorea ont continué mardi au tribunal avec toujours le même constat, le câble n’a pas pu se rompre en vol. La défense de l’ancien représentant du Groupement pour la sécurité de l’aviation civile (GSAC) Andriamanonjisoa Ratzimbasafy, estime que la certitude du lien de causalité fait défaut et que « ce bénéfice du doute doit innocenter les prévenus ».   

L’avocat du représentant du GSAC Andriamanonjisoa Ratzimbasafy, Me Simon Ndiaye, a débuté sa plaidoirie en rappelant qu’à chaque début de procès, les parties ont des attentes, notamment celle de découvrir la vérité. « Plusieurs d’entre nous ont dit qu’ils souhaitaient participer à la vérité.  Après plusieurs semaines les choses ont-elles évoluées depuis le jugement en première instance, a-t-on fait un pas en avant cette recherche de vérité ? » Il y a une chose sur laquelle ils sont tous d’accord, a-t-il dit, « c’est que cet accident est un drame pour tout le monde (…). Du côté de la défense, quoi qu’on puisse penser nous ne sommes évidemment pas indifférents par rapport aux victimes, on s’est senti démuni parfois (…). Nous ne pouvons offrir aux victimes que respect et compassion ».  Mais pour découvrir la vérité, a-t-il lancé, « il faut prendre du recul dans notre quête de vérité sinon nous tombons dans des pièges qui sont des tentations naturelles de la part des prévenus, qui se disent qu’ils sont les seuls sachant la vérité ou qu’ils sont les spécialistes et que personne ne doit venir dans leur champ de compétence (…). De la part de la partie civile, ce serait de penser qu’ils auraient la certitude que les prévenus seraient sans cœur, seraient payés à ne rien faire et que ces prévenus devraient reconnaitre leur faute, demander pardon pour que certaines plaies puissent se fermer. Et si on reste dans ces deux optiques, on reste dans une impasse. La vérité réconcilie et l’enjeu de ce procès c’est d’arriver à concilier la vérité, les attentes humaines et le judiciaire. Je ne suis pas sûr que notre système judiciaire puisse permettre l’accomplissement de cette mission ». Il a ensuite assuré qu’il n’était pas là pour plaider l’impunité, mais bien une application rigoureuse du  droit pénal. « On fait croire aux victimes qu’il y a forcément un coupable et finalement il y a une déception ».

« Ce qui fait défaut ici, c’est la certitude du lien de causalité »

Me Simon Ndiaye a rappelé que dans cette affaire il y a eu, dès l’instruction du dossier, plusieurs hypothèses qui ont été émises. Il considère qu’une relaxe générale aurait pu être prononcée lors de l’instruction, mais sans doute tous pensaient-ils que le procès ou que les débats à l’audience allaient rétablir la vérité. « Après l’accident on trouve toujours des choses, et est-ce que cela a un lien avec l’accident, on ne peut pas dire parce que le désordre régnait dans l’atelier et par conséquent il y a une chaine de défaillance pour mener à la condamnation et le tribunal correctionnel a failli ». Me Simon Ndiaye estime que dans le jugement, il y a plusieurs « raccourcis, et une application extrêmement flexible sur l’exigence d’une causalité certaine pour aboutir à une condamnation sévère ». Mais il rappelle que dans cette affaire, la certitude du lien de causalité fait défaut, et c’est « le nœud gordien de la responsabilité ». Pour l’avocat « on ne peut raisonner en syllogismes, on ne peut pas se contenter d’intuition, il faut des choses établies ».

« L’expertise est la clé de voute de ce dossier »

Me Simon Ndiaye a assuré que les avis des experts peuvent avoir une « incidence très importante à l’issue de l’audience », et rappelé que c’est pour cela que ces derniers prêtent serment. La vraie contradiction se fait à l’audience, raison pour laquelle la défense a fait citer des témoins, a-t-il dit, rappelant qu’il y a eu dans ce procès 3 rapports et que les experts se sont vite orientés vers la thèse de la rupture du câble. Il affirme qu’il n’y a pas de concordance entre ces différents rapports.

Me Simon Ndiaye a regretté que les experts  de la défense aient été « décriés sur des arguments subjectifs » et il a fait référence à une question posée « qui vous a payé et donc vous êtes impartiaux ». Mais selon lui, « les témoignages, leurs expertises doivent être pris de manière objective ». Il a aussi souligné que c’est la première fois qu’il assiste à un procès sans la présence des experts judiciaires  : « cela nous a privés de confrontation alors qu’en première instance il y en a eu. Cela n’a pas eu lieu car il était tard et il ne fallait pas bousculer Arnoud. Il se prend pour quelqu’un d omniscient ». L’expert judiciaire a parlé maintenance, réglementation, ou encore médecine. L’an dernier il avait beaucoup été question de médical,  et donc l’expert, selon Me Ndiaye  s’est dit cette année « je vais aussi donner mon avis ».

« L’application de la loi pénale ne saurait se satisfaire que des hypothèses »

Me Ndiaye a terminé sa plaidoirie en affirmant qu’ « au final on note qu’après une longue instruction (…) il n’y a toujours pas de certitudes, il n’y a que des hypothèses. Aujourd’hui on ne sait pas quelle est la cause de l’accident ». Il a rappelé que l’application de la loi pénale ne saurait se satisfaire que des hypothèses : « Il y a une présomption d’innocence, on ne peut pas renverser la charge de la preuve et dire aux prévenus de rapporter la preuve ». Il a ensuite assuré que c’est difficile pour tout le monde de ne pas déterminer les responsabilités de chacun. « Pour nous c’est frustrant d’avoir les constatations mais pas de conclusion ». Ce crash est une affaire dramatique « sur le plan humain, complexe sur le plan technique et très simple sur le plan juridique car il faut un lien de causalité certain, et ce n’est pas le cas ici, les conditions de condamnation ne sont pas réunies et on n’a rien trouvé qui puisse démontrer une faute en lien de causalité certain avec l’accident ».

« Nous sommes dans le cadre un homicide involontaire » 

Me Laurence Bryden a ensuite pris le relais. Elle a commencé sa plaidoirie en déclarant qu’il lui était difficile de plaider devant les familles des victimes. « Nous savons tous que lorsqu’un drame n’est pas dans l’ordre des choses, c’est encore plus difficile car il y a le besoin de comprendre alors que parfois il faut simplement admettre ». Me Bryden a assuré comprendre la douleur, la peine ou encore la colère des familles des victimes. Mais elle a aussi assuré que « dans ce procès nous sommes dans le cadre d’un homicide involontaire ». Pour elle, le recours est justifié mais la longueur de la procédure « n’est pas de leur fait (…). En ça je sais qu’on ne fait pas son deuil, on doit attendre qu’il soit fait ».

« Ce bénéfice du doute doit innocenter les prévenus » 

Me Bryden considère que l’avocate générale a oublié son rôle de représentante de la société qui doit être à la recherche de la vérité : « On a substitué la recherche de la culpabilité (…). Ce drame est épouvantable, les parties civiles ont droit à la vérité et cherchent aujourd’hui la vérité judiciaire, mais la cour devra juger sereinement pour avoir le courage d’affronter ce qu’on attend d’elle (…) dans le droit pénal la charge de la preuve incombe à l’accusation ».  

Pour Me Bryden, le réquisitoire a porté sur un jugement moral « qui a pu sécuriser les parties civiles mais qui ne répond pas au droit pénal ». Elle a demandé à la cour que si elle avait le moindre doute, ou si elle relevait la moindre discordance, « vous devez relaxer les prévenus, ne vous laissez pas abuser par des fausses certitudes de circonstance. Le doute n’est pas compatible avec les décisions de justice et en droit pénal le doute doit profiter aux prévenus (…) car ce bénéfice du doute est l’impossibilité de celui qui doit apporter la preuve matérielle (…) et ce bénéfice du doute doit innocenter les prévenus ». Elle a terminé sa plaidoirie en affirmant que « la plupart des indices sont restés au fond de la mer ».

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