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Assises : un homme jugé pour fratricide

C’est un enfant dans un corps d’adulte sur lequel les jurés auront à se prononcer pour cette deuxième affaire de cette session de la cour d’assises. Une bagarre entre deux frères qui a mal tourné, menant au décès de l’un d’eux. Le prévenu, 40 ans, est accusé de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Étant sous le coup de la récidive légale, il encourt une peine de 30 ans de réclusion criminelle.

Les faits se sont passés à Paea en mars 2018. Rudy, alors âgé de 38 ans, rentrait chez lui dans la soirée quand au passage, il se fait copieusement insulter par son frère Heifara, 40 ans, qui vit dans la maison voisine. Il est ivre, son autopsie révélera un taux de 2,83 g d’alcool par litre de sang.

Rudy, qui est à jeun, n’a pas envie d’en découdre et dit plusieurs fois à son frère d’aller se coucher. Celui-ci continue à l’insulter, le menacer, et se saisit d’un bois. Voyant cela Rudy se jette sur lui, le désarme, jette le bois, et les frères en viennent aux mains. Dans la rixe, Heifara chute en arrière, et là, selon des témoins, Rudy se met à califourchon sur lui et le frappe. Heifara ne se relèvera pas.

Rudy, alors en garde à vue, niera les coups portés alors que son frère était au sol. Il reconnait juste deux coups au visage et deux coups sur les flancs. L’autopsie révélera, outre le taux d’alcoolémie de la victime, une hémorragie, des fractures costales et des lésions traumatiques de chaque côté du visage de la victime.

Le juge chargé d’instruire l’enquête estimera qu’il n’y a aucun doute, les coups sont bien à l’origine du décès de la victime. Toutefois aucun élément ne permet de penser que Rudy voulait la mort de son frère. Il est mis en examen pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, puis placé en détention provisoire, il y a cela 2 ans et demi. Comme ces faits ont été commis sous le coup de la récidive légale, Rudy ayant été condamné avec du sursis pour une histoire de stupéfiants, il encourt une peine de 30 ans de réclusion criminelle.

Les muto’i sont intervenus une soixantaine de fois.

L’enquête démontrera que les deux frères ont un lourd passif au niveau bagarre. En l’espace de six ans, les muto’i de Paea sont intervenus une soixantaine de fois, toujours pour la même raison. Des rixes entre les deux frères, en général sous l’emprise de l’alcool. Toutefois, les forces de police s’accordent à dire qu’à chaque fois qu’ils intervenaient, Rudy s’était toujours montré respectueux envers eux. Un gendarme témoignera que plusieurs personnes disent de lui que « même une femme peut le rosser. » Si dans son casier judiciaire de deux pages, où stups et bagarres sont les principaux méfaits, Rudy compte une condamnation pour rébellion envers un muto’i. Interrogé il expliquera, « c’était les muto’i, ils ne m’aiment pas, pourtant je suis un gentil garçon. » 

« Quand on se bat, des fois il gagne, des fois je gagne »

Dans le box des accusés, Rudy jette des coups d’œil un peu partout et semble être en possession de tous ses moyens. Mais ses prises de parole à la barre vont ébranler sérieusement cette apparence.

« On vous accuse d’avoir porté des coups causant la mort de votre frère. Qu’est-ce que vous avez à dire ? » s’enquiert la présidente de la cour d’assisses. À peine prend-t-il la parole que l’on sent que quelque chose ne va pas. « Nous deux, mon frère, on s’aime beaucoup, mais quand on a bu on se bat. Quand on n’a pas bu on est des amours. Quand on se bat, des fois il gagne, des fois je gagne. Parfois quand il a bu, il me menace. » Un langage enfantin.

Concernant les faits, il explique que son frère le menaçait avec un bois, qu’il lui a donné deux coups avec, qu’il l’a désarmé et qu’après il ne savait plus, « j’étais dans l’action. Je ne voulais pas la mort de mon frère, je l’aime beaucoup. » Puis se tournant vers les enfants de son frère, « je demande pardon pour votre papa. »

« Je n’arrive pas à oublier mon frère, je dors pas »

Interrogé sur le déroulement de sa détention, à Nuutania, il explique qu’il suit des cours de primaire, et qu’il est auxiliaire de propreté. « Une tâche que l’on accorde aux détenus de confiance » explique la présidente aux jurés. Il dira être suivi par un psy – « on dit que je suis un peu fou » – et prendre des neuroleptiques et des cachets pour dormir : « Je n’arrive pas à oublier mon frère, je dors pas. »

Interrogé sur son enfance, « papa et maman nous ont appris de bonnes choses, ils sont dans l’église, mais nous, on ne les écoutait pas. » Son niveau scolaire, « j’ai été à l’école jusqu’en CM2, je savais pas tellement lire et écrire, après quand j’ai quitté l’école j’ai travaillé au fa’a’apu, au snack de ma tante, puis j’ai fait le maçon, le menuisier. » Au niveau sentimental, il est marié, a un enfant et peut-être, « une fille avec une ex-copine, mais je ne sais pas. »

On apprend qu’il a eu à l’âge de 10 ans un accident de scooter alors qu’il était passager et qu’il s’est retrouvé dans le coma. À l’âge de treize ans, il s’adonnait à la boisson et au paka. Des facteurs qui ont de quoi altérer la santé mentale de n’importe qui. Pour preuve, en 2011, à la demande de sa mère, il a été placé sous tutelle pour une durée de cinq année. En 2018, cette fois à la demande d’un psy, il y était de nouveau mais cette fois pour une période de 10 ans. Cela pour « altération des facultés mentales, il présente un état de schizophrénie. » Son dossier médical mentionne aussi un état psychotique chronique et qu’il est sous neuroleptiques « assez puissants, des camisoles chimiques ».

Comme pour appuyer le diagnostic du psy, un gendarme expliquera qu’ils ont dû interrompre sa garde à vue pour l’emmener en psychiatrie au CHPF car, « il tenait des propos décousus. Il disait qu’il entendait Satan lui parler. Des voix ou son imagination, je ne sais pas. Il est très infantile, pas mûri dans sa tête. » 

« Où est la vérité ? »

Si le voisinage, les muto’i et les gendarmes ont fait état de nombreuses bagarres entre les deux frères, la famille appelée à la barre n’a pas nié les nombreuses prises de bec entre les frères, « quasiment tous les jours », mais a cependant minimisé celles-ci.

Pour le père, sa fille, et l’ex-femme de la victime, ils ne se battaient pas, juste des menaces, avec parfois des barres à mine, ou des bois à la main, « mais jamais de coups, juste des insultes, des piques. » Selon eux, la seule fois où ils se seraient battus, c’était le soir du drame. De fait, ils s’accordent tous pour déclarer que si Rudy est quelqu’un de gentil, ce n’était pas le cas d’Heifara, la victime, qui s’était montré violent à plusieurs reprises avec son ex-femme.

Des témoignages à contre-courant des autres qui interpellent l’avocat général : « où est la vérité ? » « C’est ça », lui affirme le père.

Appelé à la barre, le médecin légiste qui a autopsié le corps de la victime, a fait état de plusieurs coups qui ont laissé des ecchymoses au niveau du cuir chevelu, des lésions de chaque coté de la tête, une côte cassée qui aurait pu l’être « soit avec un coup de poing, soit avec un coup de pied » mais surtout, « une hémorragie au niveau de l’encéphale qui l’a comprimé provoquant ainsi l’arrêt des fonctions vitales. » Pour lui, pas de doute, ce sont bien les coups qui sont à l’origine du décès de la victime.

Les débats reprendront demain matin avec l’ audition d’un psychiatre qui dressera le portrait de l’accusé.

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