ACTUS LOCALESÉCONOMIETOURISMETRANSPORTS ATN : Michel Monvoisin défend son bilan et interpelle sur « l’agacement » au sein de la compagnie Charlie Réné 2024-11-29 29 Nov 2024 Charlie Réné Alors que la situation financière d’ATN anime beaucoup de discussions, à l’assemblée ou ailleurs, Michel Monvoisin était l’Invité de la rédaction de Radio1 ce vendredi. L’ancien PDG, aux manettes de la compagnie du Pays pendant 11 ans et remplacé en juillet par Philippe Marie, a vu certains ses choix stratégiques passés être questionnés ou critiqués. Il a tenu à répondre, notamment sur le lancement de la ligne vers Seattle plutôt que vers l’Asie ou l’Amérique du Sud. Il partage aussi son analyse de la situation actuelle de la compagnie, dont le personnel serait inquiet du manque de visibilité offerte par le Pays. Si beaucoup d’encre a coulé, ces derniers mois, sur le poids budgétaire de la plupart des « satellites » du Pays, c’est sans aucun doute Air Tahiti Nui qui anime le plus de discussions. La Sem aérienne détenue à près de 85% par le Pays est dans une situation difficile, avec 10 milliards de francs de pertes cumulées depuis 2022. Offre en sièges largement supérieure à la demande entre les États-Unis et Tahiti, manque de réceptif hôtelier pour recevoir les touristes et donc vendre davantage de tickets, concurrence des « majors » de l’aérien mondial qui peuvent se permettre d’absorber des pertes sur cette ligne… Les raisons de la situation de la compagnie du Pays, qui reste leader sur son marché, ont été plusieurs fois discutées. Notamment à l’assemblée, lors de l’examen de la subvention d’équilibre de 3,2 milliards de francs à la Sem, qui a fini, après quelques rebondissements, par être validée par les élus. Ces discussions se tournent bien sûr vers la présidence, en charge du transport aérien international et du tourisme, et à qui il revient d’enfin éclaircir le cap d’ATN. Vers le PDG Philippe Marie en poste depuis juillet, et qui a été auditionné à l’assemblée voilà quelques semaines. Mais aussi, de manière moins directe, vers son prédécesseur Michel Monvoisin. Certains des choix stratégiques qu’il a défendu pendant ses onze ans à la tête de la Sem sont régulièrement pointés du doigt. Dernier exemple en date : une publication du compte Facebook « Cancans de Maohi Nui », réputé proche du mouvement autonomiste, intitulée « ATN paie ses erreurs stratégiques » et à laquelle l’ancien dirigeant a voulu répondre. L’Asie « déjà desservie »… et limitée par le nombre de chambres Ce sont avant tout ses choix de développement de routes – « tous validés en conseil d’administration, avec le Pays et la présidence », précise-t-il – qui valent à l’ancien dirigeant des critiques. Il est vrai que l’ouverture de la ligne Papeete – Seattle, en 2022, puis son extension vers Paris l’année suivante, en a surpris plus d’un. « Il ne faut pas oublier qu’Air Tahiti Nui n’a que quatre avions, et qu’il faut les utiliser au maximum de leur potentiel, rappelle Michel Monvoisin. Ouvrir cette route, un vol de moins de dix heures, était possible sans avoir besoin, d’acheter un autre appareil, comme ça avait été le cas pour New York, par exemple. » Utiliser au mieux la flotte, était donc « le premier objectif ». Le deuxième ? Sceller le partenariat avec Alaska Airlines. « Je vous rappelle qu’Alaska vient de racheter Hawaiian Airlines et donc il y a beaucoup de choses à faire ensemble », insiste-t-il. Pourquoi ne pas s’être tourné vers l’Asie plutôt que de se tourner davantage vers les États-Unis ? « Sur l’Asie, on a l’exemple de la Chine. En 2018, ATN a signé pour 52 vols charters, c’est-à-dire un vol par semaine avec les deux principaux tour-opérateurs du Pays. C’était signé. Ce contrat n’a jamais pu aboutir, parce qu’ils n’ont jamais trouvé les chambres ». Michel Monvoisin, pendant ses années à la tête d’ATN n’a cessé de dénoncer le manque d’évolution du parc hôtelier polynésien qui bloque le développement de l’aérien. « Ce que j’apprécie ces derniers temps, c’est que le président reprend tous mes propos : il demandé 3 000 ou 4 000 chambres de plus. Il a raison. Il y a un problème de chambres pour ATN. » L’ancien PDG rappelle aussi que Tokyo, desservi par ATN, est un hub régional : « avec Narita, on a des connexions sur toute l’Asie, grâce à ses accords avec la Chine, bien sûr, mais également la Corée. Donc l’Asie est desservie. » L’Amérique du Sud ? « Une chimère » Pourquoi ne pas s’être tourné vers l’Amérique du Sud ? « Il faut faire taire cette chimère-là que j’entends régulièrement, s’agace-t-il. Cette idée qu’on va devenir un hub entre l’Asie et l’Amérique du Sud. Ça reviendrait à se mettre en concurrence avec Etihad, avec Emirates, avec Qatar, avec Turkish Airlines… Parce que les Chinois pour aller en Amérique du Sud, ils passent par l’autre côté : Shanghai ou Pékin vers Sao Paulo via Dubaï, c’est 21 heures de vol et il y en a tous les jours. Par Tahiti, ça serait 28 heures, 7 de plus, et on ne mettra pas des vols tous les jours, on n’a pas la capacité à le faire. Vous allez rentrer en concurrence avec les plus grosses compagnies du Moyen-Orient, qui sont, comme on le sait, gavés de cash grâce à leurs actionnaires. Ça n’a pas de sens. Et tous ceux qui rêvent de l’Amérique du Sud devraient se poser la question de savoir pourquoi Latam n’est pas revenue. » La ligne Santiago – Rapa nui – Papeete, exploitée en codeshare avec ATN, n’a jamais été relancée après le Covid. « Parce que c’est pas rentable, ils volaient à 30% sur la fin. Il faut comprendre que quand on a stimulé le marché nord-américain – ça a rempli les chambres, avec un dollar fort, et tant mieux pour les hôteliers et pour l’industrie touristique -, on a aussi fermé un peu la capacité aux autres destinations. » Fermeture du Seattle – Paris : un « coup de poker » pour faire face à Air France – Delta Michel Monvoisin n’en démord pas : Seattle était le bon choix. Et pour autant, la décision du nouveau PDG – et de la nouvelle présidence – de fermer dès le mois de janvier le tronçon Seattle – Paris ne l’étonne pas. « Aujourd’hui, ils sont attaqués de front par le couple associé Delta – Air France sur la route Los Angeles, la plus rentable. Donc il faut réagir. Ça veut dire mettre de la fréquence en face et pour ça il faut récupérer de la disponibilité. Où est-ce qu’il faut aller la chercher ? Ils ne vont pas fermer Auckland, ça n’aurait pas de sens. Ils ne vont pas aller fermer non plus le Japon. La seule route sur laquelle il pouvait récupérer un peu de productivité, de « capacité coque », c’est effectivement en fermant cette route Seattle – Paris ». À l’entendre, cette liaison était de toute façon « devenue un Papeete – Paris » avec une autre escale. Le « marché français très dynamique » et les capacités pour embarquer des passagers à Seattle ont été rapidement réduites, ce que Alaska Airlines aurait plusieurs fois « reproché » à ATN. La stratégie de la nouvelle direction consisterait donc d’après lui, en plein hiver de l’hémisphère Nord, à faire transiter tous ses passagers métropolitains par Los Angeles pour « tenir » face à Air France et Delta Airlines. Et dans le même temps de tenter d’attirer, en maintenant le tronçon Papeete – Seattle, davantage de touristes de cette riche région Nord-Ouest qui n’a pas beaucoup d’autres « destinations soleil » en vol direct (mis à part Hawaii, le Costa Rica et le Mexique). « Ils vont tenter un coup de poker, mais maintenant il faut qu’ATN soit soutenue par le Pays, et surtout soit soutenue par Tahiti Tourisme sur la promotion. » Davantage de coordination, c’est effectivement ce que la présidence a demandé au GIE. Cette stratégie, « elle ne m’appartient plus, mais je la trouve cohérente », précise Michel Monvoisin. Mais est-ce que l’ouverture du Papeete – Seattle et du Seattle – Paris n’aurait pas, comme le suggère Cancans de Maohi Nui, déclenché les hostilités avec Air France et Delta, qui ont décidé de prendre des « mesures de rétorsion »? « C’est une belle ânerie. Il faut écouter quand même ce que dit le DG d’Air France, Ben Smith : il trouve qu’il y a trop de compagnies françaises, il faut de la consolidation dans les Outre-mer. Il s’est attaqué à toutes les compagnies d’Outre-mer. Il ne s’est pas attaqué qu’à ATN : il a fait la même chose à La Réunion. Il fait la même chose aux Caraïbes, Marc Rocher s’en plaignait suffisamment. Donc non, ce n’est pas une réaction. On sait qu’Air France est aujourd’hui dans une logique, facilitée par l’après-Covid de prise de marché. Et je m’inquiète même pour Aircalin qui va aller à Paris. Ils vont se retrouver avec Air France face à eux. » Fidji, Maurice, Malte… Des modèles à observer pour faire des choix En attendant de voir ce que donnent ces choix de routes pour 2025, Michel Monvoisin dit « comprendre l’inquiétude » régulièrement exprimée en interne dans la compagnie du Pays. Sur le manque de « stratégie globale » affirmé par le gouvernement – actionnaire pour sa Sem. Mais surtout sur le manque de réponses de la présidence sur les demandes de nouvelles rotations de Air France et Delta, toujours en instruction entre l’aviation civile et la présidence. « Ce n’est pas à moi de dire au président s’il faut dire oui ou non. Il est assez grand pour le décider », lance Michel Monvoisin, qui rappelle tout de même que cette ouverture du ciel qui a engendré la situation actuelle a commencé sous la mandature précédente, celle d’Édouard Fritch. « J’ai toujours alerté les autorités en disant que c’était une mauvaise idée. Après je comprends qu’on soit assis entre deux chaises. D’un côté il y a l’industrie touristique qui pousse – plus il y a de sièges, plus ça amène des touristes -, de l’autre il faut protéger la compagnie. Ce sont des choix stratégiques que le Pays doit prendre, et ça n’est pas unique au monde. Je prends l’exemple de l’île Maurice, l’Afrique du Sud, Malte que j’ai vu, où effectivement ils ont ouvert, sans débat, mais ils soutiennent leur compagnie nationale. L’autre modèle c’est Fidji, qui a dit ‘j’ai ma compagnie, je suis assez grand’, et il n’y a pas une seule compagnie américaine qui se pose à Fidji alors qu’il y a 800 000 touristes par an. Du coup Fiji Airways se débrouille tout seul. Moi, je n’ai pas de religion là-dessus, c’est l’un ou l’autre. » L’ancien PDG met tout de même en garde sur les tensions engendrées au sein de la compagnie par ce manque de décision. « Il y a de l’inquiétude et il y a de l’agacement aussi. On les met sous les feux de la rampe. ATN a 26 ans, et son personnel c’est vraiment des professionnels. Ils savent ce qu’ils font, ils connaissent leur métier, que ce soit au sol ou en vol, et ils sont complètement dévoués à leur compagnie. Et je crois que là, de les pointer du doigt comme c’est fait, comme ça a été fait ces derniers temps, ça les agace forcément et ça les inquiète parce qu’ils sentent une forme d’injustice. Eux, ils ont fait leur boulot. Et donc, je pense que ce qui serait bien, c’est de leur ficher la paix un peu, de les laisser travailler. » Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre)