ACTUS LOCALES

Chaleur, sécheresse, montée des eaux… « Il faut rester calme face aux données sur le climat »

Les relevés historiques locaux confirment que les températures et le niveau de l’eau sont en hausse en Polynésie, a expliqué Victoire Laurent, Invitée de la rédaction de Radio1. Au fenua comme ailleurs, les dérèglements climatiques d’origine humaine soulèvent des enjeux importants en matière de ressources en eau et en nourriture, de vulnérabilité à la houle ou aux incendies… Ce qui n’empêche pas la climatologue d’appeler à la nuance, et à ne pas tomber dans le « catastrophisme » : d’autres variations du climat sont plus naturelles et plus passagères. 

Changement, réchauffement… Victoire Laurent, comme beaucoup de ses confrères météorologues, préfère parler du dérèglement pour qualifier les évolutions du climat attribuables à l’homme et à ses émissions de gaz à effets de serre. Des dérèglements largement documentés au niveau mondial, notamment au travers des travaux du Giec, le groupe d’experts international pour le climat, mais qui sont longtemps restés plus flous pour ce qui est de la Polynésie et de sa région. Raison pour laquelle la responsable du bureau d’étude et de climatologie de Météo France en Polynésie a mené un long travail de compilation et d’étude des données locales historiques, récupérées depuis les archives du Pays jusque dans celles de l’agence météo nationale, à Fontainebleau.

Davantage de besoin en eau : « il va falloir faire des choix »

Les « chroniques » de températures et de précipitations remontent aussi loin que 1853 en Polynésie, mais les équipes de Météo France se sont concentrées sur les données de ces 50 dernières années, les ont « contrôlées », « nettoyées », « corrigées », pour éliminer les variations dues aux techniques de mesures et aux variations naturelles du climat… Comme elle l’écrivait début novembre dans la revue The Conversation, la climatologue confirme que la Polynésie suit les trajectoires mondiales en matière de température : +1,1°C en moyenne sur les 50 dernières années. « Ce qui est intéressant c’est que cette valeur est observée dans le Pacifique, et que cette même valeur est également observée au niveau mondial, sur la période préindustrielle jusqu’à nos jours, détaille Victoire Laurent. Donc on pourrait logiquement s’attendre à ce que la hausse qui est prévue par le Giec au niveau mondial, +3,5°C d’ici la fin du siècle, on la retrouve dans le Pacifique et à notre niveau ». 

+3.5°C. Un des scénarios mis sur la table par les experts internationaux pour 2100, dans le cas où les mesures prises au niveau mondial ne permettraient pas de juguler les émissions de gaz à effets de serre. « Même si on parle seulement de 1,5°C, il y a des risques », prévient Victoire Laurent. À commencer par des risques de pénuries en eau ». Hommes, plantes, animaux… Avec une chaleur plus forte les besoins augmentent, contrairement au niveau des précipitations. « Il faudra faire des choix » précise-t-elle, qui pourraient mener, vu les besoins en eau de l’agriculture, à des pénuries alimentaires.

La mer monte, mais le trait de côte ne va pas forcément reculer partout

« Et ça c’est pour 1,5°C, le même phénomène va être plus important à +2°C, +3 ou +3,5°C », continue la climatologue qui pointe aussi  un risque accru de feux de brousse. L’année passée, 400 hectares ont brûlé aux Marquises, et les incendies sont plus fréquents partout où la sécheresse s’installe. Or qui dit moins de forêt, dit moins de stockage d’eau, et, là encore, des risques de pénuries.

Les données de terrain – et notamment celles issues des deux marégraphes installés à Tahiti et Rikitea dans les années 70 – confirment aussi la hausse du niveau de la mer au fenua, dans une mesure proche des modélisations internationales. « On s’est même aperçu, pour ce qui est des îles de la Société, que le Giec sous-estimait l’élévation d’ici la fin du siècle », précise Victoire Laurent. 11 cm de plus en 2100 contre 8 ou 9 cm suivant les modèles existants. Un chiffre qui parait faible mais qui aura un impact fort, notamment en termes de vulnérabilité à la houle. Ce qui ne veut pas dire que le trait de côte va reculer plus rapidement, pointe la spécialiste. Les houles cycloniques et extrêmes « peuvent avoir quelque chose de bénéfique », en ramenant du sédiment sur les plages qui ne sont pas « encombrées » par les constructions humaines, murs, digues et autres ouvrages souvent contreproductifs pour contenir les évolutions naturelles.

Pas plus de risque cyclonique

En revanche, les chroniques de pluies de ces dernières décennies « ne permettent pas d’identifier de variations qui seraient dû aux dérèglements climatiques ». Des tendances, on en trouve, mais elles sont pour la plupart liées à d’autres phénomènes : les cycles El Niño / La Niña, ou l’oscillation interdécennale du Pacifique, qui modifie les pluies sur de plus longues périodes, et dont sont témoins les Marquisiens depuis plus d’une dizaine d’années. Difficile de prévoir quand la Terre des hommes, et, dans une moindre mesures, certaines partie des Tuamotu, des Australes ou de la Société sortiront de ces cycles naturels : « Il faut rester humble devant les variations à long terme, explique Victoire Laurent. On va retrouver des phases favorables à la formation de nuages et aux précipitations dans les années qui vont venir, mais nous n’avons pas le savoir-faire de pouvoir prévoir » exactement quand.

Quant aux cyclones, l’analyse des dernières décennies n’indique pas une hausse du risque en Polynésie. Pas plus d’ailleurs que les projections du Giec : pas de hausse de la fréquence de ces phénomènes extrêmes au fenua, pas non plus de hausse de leur intensité, comme cela avait un temps été évoqué. « Par contre ce qu’ils prévoient, c’est que dans un rayon de 200 kilomètres autour de l’oeil du cyclone s’il apparait, on aura des pluies beaucoup plus importantes ».

Pas question, donc, de pointer vers les changements climatiques à la prochaine tempête, ou au prochain cyclone – le dernier a eu lieu au fenua en 2010, avec Oli. Victoire Laurent regrette plus largement une tendance à l’utilisation de ces dérèglements d’origine humaine comme explication à tous les phénomènes, dont certains sont parfois d’origine naturelle. La Polynésie doit faire sa part pour le climat, certes, mais en évitant le catastrophisme. « La terre, le climat, ça n’est pas linéaire. Il y a tout un ensemble de réactions, d’adaptations de la nature au climat et à l’atmosphère qui nous fait quand même espérer », explique-t-elle. Agir, oui, mais « il faut rester calme face à ces données, ne faut pas tout de suite être dans le mélodrame ».

Le débat sur le climat continue, d’une part, dans le cadre de la Journée mondiale du climat qui a lieu jeudi et qui sera l’occasion d’une projection-débat gratuite au Majestic autour du film Mission Régénération. La discussion a aussi lieu, au plus long terme, dans le cadre du plan climat, en préparation du côté du Pays et dont l’actualité est à retrouver sur un site dédié.

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