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Éric Spitz : « Il ne faut pas parler la langue de bois »

Éric Spitz, le nouveau haut-commissaire de la République en Polynésie française, était l’invité de la rédaction de Radio1 ce jeudi matin. Sur le troisième mandat d’Édouard Fritch, il indique que c’est le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer lui-même qui posera la question au Conseil d’État. Selon nos informations, la demande aurait en réalité été faite en début de semaine. Il met en garde contre une surenchère institutionnelle, et recommande d’abord d’appliquer la loi organique dans toutes ses possibilités. Idem pour les financements d’État, pour partie inemployés faute de dossiers montés. La réorientation de la défiscalisation après 2025 est à l’étude, notamment pour éviter les « échecs retentissants » des projets hôteliers. Enfin, sur le suivi des conséquences nucléaires, le directeur des Affaires militaires viendra en Polynésie au mois de novembre présenter les éléments découverts dans les 90 000 documents déclassifiés de l’armée. 

Vous retrouvez la Polynésie 12 ans après l’avoir quittée, quel est votre sentiment sur ce retour ?

« C’est une grande joie, je retrouve beaucoup de têtes connues, y compris au sein du Haut-Commissariat et l’accueil, je crois, est vraiment touchant, sincère, et j’ai vraiment beaucoup de plaisir à retravailler au fenua pour que la Polynésie française avance. »

« À  chaque fois qu’on parle de questions institutionnelles,

c’est souvent un prétexte pour ne rien faire pour la vie quotidienne des gens »

Quelle est la feuille de route qui vous a été donnée ?

« Justement, je dois en bâtir une avec le président de la Polynésie française, dans les prochaines semaines, pour les trois années à venir. Elle reprendra en grande partie les engagements du Président de la République lors de son passage ici en juillet 2021. Elle en agglomérera d’autres, qui ont trait par exemple au fonds pour les énergies renouvelables, et divers sujets, le nucléaire bien évidemment. Quand j’étais à Paris, personne ne m’a parlé de questions institutionnelles. Et je constate qu’à chaque fois qu’on parle de questions institutionnelles, c’est souvent un prétexte pour ne rien faire pour la vie quotidienne des gens. Donc moi j’ai envie de parler de pouvoir d’achat, j’ai envie de parler de logement, j’ai envie de parler d’emploi, mais je n’ai pas envie de passer des heures et des heures à batailler pour tel ou tel point juridique ou institutionnel. »

« Dans la loi organique, il y a des articles qui n’ont même pas encore été utilisés.

Alors allons d’abord au bout de ce statut, déployons ce que les textes prévoient »

Et pourtant, la réforme constitutionnelle qui doit suivre le processus référendaire de Nouvelle-Calédonie alimente aussi la réflexion des autres ultramarins. Est-ce qu’on peut envisager des changements dans le statut polynésien ?

« Le statut, il est déjà extrêmement décentralisé. Et puis surtout, dans la loi organique, il y a des articles qui n’ont même pas encore été utilisés. Je pense par exemple à l’article 18, celui qui protège l’emploi local. Le Pays vient tout juste de déposer sa liste des métiers en tension, l’arrêté n’est même pas encore pris. L’article 19 protège le foncier ; alors là, il n’y a carrément rien eu, il n’y a pas eu de loi du Pays. Alors allons d’abord au bout de ce statut, déployons ce que les textes prévoient avant de discuter d’une nouvelle évolution institutionnelle. Je voudrais aussi préciser que ce débat a plus de sens dans les départements d’Outre-mer, je pense par exemple à la Guyane où la dernière élection s’est faite ‘pour ou contre’ l’article 73 et l’article 74 de la Constitution (…). Je n’ai pas le sentiment que ce soit à l’ordre du jour en Polynésie où on a déjà un ‘super article 74’, en quelque sorte. »

Il y a quand même un point qui inquiète tout le monde, c’est le 3e mandat d’Édouard Fritch et sa légalité. Il a la possibilité d’interroger le Conseil d’État, le président de l’assemblée aussi, est-ce que vous aussi vous pouvez faire cette demande ?

« Oui, plutôt d’ailleurs le ministre de l’Intérieur que le haut-commissaire. Toutes les parties nous ont demandé de le faire. Je n’ai aucun complexe à saisir le juge pour dire le droit, c’est tellement simple. Donc normalement, effectivement, le Gouvernement devrait saisir le Conseil d’État pour savoir si Édouard Fritch peut se représenter. »

Et ainsi éviter l’instabilité si jamais cette saisine devait se faire après les élections territoriales ?

« Oui, et puis c’est tellement simple à faire, pourquoi ne pas le faire avant ? Donc on va le faire avant. »

[* Note de la rédaction : selon nos informations, la demande a été faite au Conseil d’État par le Gouvernement central en début de semaine.]

 CGCT: « Il y aura sans doute un moratoire »

Parlons du CGCT : clairement une grande partie des communes polynésiennes ne parviendront pas à remplir leurs obligations en matière d’eau potable, d’assainissement et de traitement des déchets avant la date butoir de 2024. Faut-il repousser, ou repenser le système ?

« Il y aura sans doute un moratoire, il y a un fonds dit d’économie circulaire qui va être créé, doté de 1,4 milliards de Francs Pacifique, pour aider les communes à éliminer les déchets de manière vertueuse. Nous avons aussi un fonds sur les infrastructures qui va être mis en place. Alors, toute la difficulté, c’est de sortir les projets. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Polynésie est la seule ‘préfecture’ entre guillemets de France qui conserve ce qu’on appelait avant une direction départementale de l’Équipement, on a une direction de l’ingénierie publique qui justement est là pour soutenir les communes et faire sortir les projets. »

Et ce service est complet et opérationnel ?

« Son directeur vient d’arriver il y a quelques semaines, le service est au complet. Le paradoxe c’est que dans une collectivité aussi décentralisée que la Polynésie française, certains équipements comme les stations d’épuration, en termes de maîtrise d’œuvre, sont réalisées par l’État, et financées par l’État. »

« Il faut sortir plus de projets »

À votre arrivée vous avez déclaré qu’il fallait d’abord trouver les moyens de capter les financements disponibles avant d’en demander d’autres. Quels sont les autres financements auxquels la Polynésie pourrait prétendre ?

« Oui, par exemple le financement pour aider à créer des infrastructures routières auprès des communes, pour l’instant, en gros, on dépense un cinquième du fonds tous les ans. Donc il faut sortir plus de projets. Ou la dotation d’équipement aux territoires ruraux, malgré deux appels à projet, nous n’avons pas réussi à tout dépenser. Alors pour sauver l’argent on a réparti le reste de manière forfaitaire entre les communes, mais encore faut-il que les communes sortent des projets dans les deux ans à venir. Donc vous voyez, il y a moins un sujet de financement qu’un sujet d’ingénierie administrative. »

Et de méthode de travail du côté des communes, c’est leur problème récurrent de manquer de cadres.

« Oui, et donc il faut que le Pays et l’État se mettent en ordre de marche pour les aider. »

Défiscalisation : « On a vu des échecs retentissants.

S’il ne fallait garder qu’un seul thème, ce serait le logement. »

Où en est la réflexion sur la défiscalisation nationale ?  Pour l’instant elle est assurée jusqu’en 2025. Va-t-elle pouvoir continuer, est-ce que les domaines privilégiés vont changer ?

« L’année dernière c’était 9 milliards de Francs Pacifique, la création de près de 200 emplois directs et 1 200 emplois indirects, donc il y a un vrai sujet. Il ne faut pas parler la langue de bois non plus, on a vu des échecs retentissants. Il n’y a qu’à se promener en Polynésie ou dans d’autres pays d’Outre-mer pour voir des hôtels abandonnés, des friches qui ont coûté très cher, donc il faut quand même se poser des questions. Alors le Président de la République a pris un engagement important pour les acteurs économiques, c’est que la défiscalisation se poursuivra après 2025, là il y a un groupe de travail qui se réunit pour réfléchir au taux de défisc’, pour par exemple les navires, et qui réfléchit également aux matières qui seraient rajoutées ou ôtées, mais pour l’instant ce n’est pas allé beaucoup plus loin. J’ai bien entendu le patronat qui dit à juste titre qu’il aimerait avoir de la visibilité parce qu’un projet de défisc’, ça prend plusieurs années, mais c’est toujours bien de savoir que ça va se poursuivre. »

Est-ce qu’il ne faudrait pas mettre le paquet sur le logement ?

« S’il ne fallait garder qu’un seul thème, ce serait le logement, parce qu’effectivement dans la vie on commence par un emploi et un logement, et si on n’a pas les deux, les grands discours, ça ne sert à rien. C’est de la vraie vie des gens dont il faut s’occuper. »

Édouard Fritch est à Washington, est-ce que ça ne dépasse pas un peu les frontières de la coopération régionale, est-ce que ça ne court-circuite pas l’action de l’État ?

« À Washington, il faut être très clair, c’était une invitation des États-Unis à la France. Et c’est en tant que membre du FIP que la Polynésie participe, elle ne représente pas la France. Elle est cependant là pour affirmer très clairement la place de la Polynésie dans le Pacifique. Je crois que M. Fritch a aussi rappelé les efforts que la France fait pour protéger sa zone économique exclusive, et donc il est important que le président de la Polynésie participe à cette réunion. Mais il ne court-circuite pas la France et de toute manière notre ambassadeur est là, à ses côtés, pendant tout le déplacement, et donc on travaille la main dans la main. »

Nucléaire : le directeur des affaires militaires en novembre en Polynésie

pour présenter son rapport sur les archives déclassifiées

Sur le suivi des conséquences des essais nucléaires, vous avez dit que ce serait l’examen des documents déclassifiés qui déterminerait la conduite de l’État. Il y en a environ 90 000, est-ce qu’il y a un calendrier, combien de temps faut-il pour lire 90 000 documents ?

« Ça va prendre du temps, mais un important travail a déjà été réalisé. Si je voulais sourire à ce sujet, depuis qu’on a déclassifié, on n’entend plus parler de demandes d’accès à ces documents, à part quelques historiens. Et ces travaux ont donné lieu à un rapport, rédigé à partir de documents classés secret défense, que le directeur des Affaires militaires va présenter au mois de novembre puisqu’il va se déplacer en Polynésie. On va jouer la transparence de façon à lever définitivement ce que le chef de l’État a appelé cette part d’ombre entre l’État et la Polynésie. »

Un dernier mot à l’intention des Polynésiens ?

« Je veux leur dire que je vais aller à leur rencontre, au-delà des acteurs institutionnels. Avant Noël je me déplacerai aux Tuamotu, aux Gambier, aux Marquises, aux îles Sous-le-Vent, îles du Vent et dans les Australes. Donc normalement je devrais pouvoir rencontrer un maximum d’entre vous en peu de temps. »

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1 Commentaire

  1. Christian
    30 septembre 2022 à 10h00 — Répondre

    J’aime bien ce haut commissaire, que du concret, aller à l’essentiel, arrêter le bla bla et le prestige. C’est bien de la vie quotidienne de la population dont il s’agit et non de l’enrichissement personnel.

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