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Laboratoires d’ice : quatre et cinq ans de prison requis contre les « chimistes »

La deuxième journée du procès des labos d’ice de Tautira a débuté ce mercredi par les auditions des prévenus impliqués dans le deuxième labo clandestin, découvert par hasard par les gendarmes. Le procureur a aussi donné ses réquisitions. Les deux apprentis chimistes à la tête des labos, à savoir Rattinassamy et Perez, ont vu requérir contre eux une peine de cinq ans ferme pour le premier et quatre ans pour le second.

Cette deuxième journée n’a fait que confirmer l’impression qui se dégageait lors de la première audience de mardi. Celle d’être en face d’apprentis sorciers, consommateurs d’ice, qui se sont lancés dans la production, en visionnant des tutos sur le net. Des gars inconscients des risques encourus, tant physiques que judiciaires, obnubilés qu’ils étaient par l’autosuffisance en matière de stups.

Et ce n’est pas l’audition de Heifara Perez, 41 ans, qui allait corriger cette impression. Pour preuve, alors que cela fait un peu plus d’un an qu’il s’est lancé dans la « cuisine moléculaire » à son domicile, ce qui est une activité qui réclame un tant soit peu de discrétion, celui-ci ne trouve rien de mieux que de laisser en évidence deux pieds de paka en terre à l’entrée de sa maison. Des plants que n’ont pas manqué de remarquer des gendarmes alors en campagne de nomadisation, en février 2019, et qui ont entraîné l’arrêt net de son activité, celle du premier labo clandestin d’ice en activité à Tahiti.

«L’ice avait un mauvais goût, piquant et pas bon »

À peine à l’intérieur de la maison, les gendarmes sont attirés par une forte odeur émanant d’un rice-cooker dans lequel mijotait une préparation de meth. Ils trouvent aussi six grammes de cristaux dans un bocal, qui après analyse se révéleront être du gros sel avec « un taux infime de meth ». Ils mettent également la main sur 2 kilos de cannabis séché, et une bassine dans laquelle trempent des feuilles de cannabis, pour faire de la résine.

À la barre, il raconte. « J’ai commencé à consommer de l’ice fin 2017. Mais je n’avais pas d’argent pour en acheter alors j’ai commencé à visionner des vidéos sur Internet. Un jour Ah Chong est venu chez moi et il s’est montré interessé. Il a acheté une partie des produits nécessaires pour la fabrication. » Selon lui, s’il n’avait pas l’intention de produire à grande échelle, mais juste pour lui, ce n’était pas le cas de Ah Chong qui lui aurait eu l’ambition de la commercialiser. Pour on ne sait quelle raison, l’association Perez-Ah Chong ne tient pas longtemps et Perez se rabat alors sur un de ses amis de collège, consommateur occasionnel d’ice, pour qu’il le finance dans l’achat des produits en échange d’ice. Celui-ci tiendra un rôle anecdotique dans cette affaire, et ce qu’il en retiendra c’est que l’ice de Perez, « avait un mauvais goût, piquant et pas bon. »

« Vous comprenez, j’ai une certaine éthique »

Ah-Chong, désigné par tous comme étant l’homme à l’origine de tout, le lien entre les deux labos, le cerveau, le chimiste, bref celui sans qui rien ne ce serait fait, est appelé à la barre. Agé de 39 ans et aucune condamnation à son casier, il est plutôt disert. Il cause, il cause, plutôt bien d’ailleurs, mais son discours peut se résumer en quelques mots : « Je n’y suis pour rien là-dedans. C’est un complot. »

Il nie connaître Toanui Rattinassamy, l’homme à la tête du premier labo découvert à Tautira, si ce n’est de vue, « vous savez Tautira c’est un petit village », mais admet connaître Perez chez qui « je vais de temps en temps acheter un stick 1 000 » Il développe : « J’ai entendu dire, après que le premier labo a été découvert, que Rattinassamy avait dit qu’il allait tout me mettre sur le dos. Il croit que je couche avec sa femme, c’est pour ça » assure-t-il, poursuivant et se contredisant par la même occasion, « le couple m’a proposé de vendre de l’ice, mais je n’ai pas voulu en vendre aux jeunes, vous comprenez, j’ai une certaine éthique. » Petit sourire du procureur et du juge. « Ils ont tous la haine contre moi, Rattinassamy m’a même envoyé un gars pour me tabasser, mais comme je le connaissais, il m’a dit de quitter quelque temps Tautira. »

Il accuse son petit frère d’avoir usurpé son identité

Pour lui, et il l’a assez clamé à la barre, il n’y est pour rien là-dedans, il est innocent et c’est un complot. Il va même jusqu’à accuser son petit frère, avec qui visiblement il a des comptes à régler, d’avoir usurpé son identité et de s’être fait passer pour lui. Quand le juge lui demande pourquoi tous les prévenus le chargent, là aussi sans ciller il explique, « parce qu’ils croient que c’est moi qui les ai balancés. C’est mon petit frère qui leur a dit cela. C’est mon petit frère qui traîne avec eux et il ne m’aime pas. » Bref, il a réponse à tout, un peu trop peut-être, limite insolent. « Tout le monde vous charge, c’est cela M. Ah Chong? » « Oui. » « Sinon, vous avez souvent des rhumes ? » « Oui » « Ben il faut croire, parce qu’à la pharmacie vous achetez treize boites de médicaments contre le rhume. » « Sur un an, monsieur le juge, il y a des rhumes dans la famille. »

Histoire de tirer au clair cette supposée liaison avec la compagne de Rattinassamy qui serait la cause de ce complot contre lui, le juge la fait venir à la barre. « Oui monsieur le juge, il m’a bien fait des avances, et c’est bien lui, ce n’est pas son frère, ils ne se ressemblent pas du tout. » « Je ne lui ai jamais fait d’avances » s’égosille Ah Chong. La matinée s’achève sur cette scène de vaudeville.

« On se posait la question, quand allons-nous trouver un labo à Tahiti ? »

À la reprise de l’audience en début d’après-midi, c’est au procureur de la République de prendre la parole pour les réquisitions. « Durant de nombreuses années, on se posait la question, quand allons nous trouver un labo à Tahiti ? Il aura fallu attendre 15 ans. La première affaire d’ice traitée par le tribunal remontant à environ 2003. (…) Cette fabrication est certes de petite ampleur, mais cela reste de la fabrication. »

Il revient sur la recette et les ingrédients plus que nocifs qui rentrent dedans. « Une recette dangereuse, explosive, pour une qualité plus que discutable, goût bizarre, peu d’effets, etc… Mais malgré ce coté artisanal, pas mal d’individus étaient demandeurs de cette ice. C’est ce qui a donné un train de vie relativement confortable au couple Rattinassamy. Des revenus estimés à environ 600 000 Fcfp par mois. »

Ainsi pour Toanui Rattinassamy, il requiert cinq années de prison et son maintien en détention.

Pour sa compagne, Vanina Faua, qui a « participé à la fabrication de l’ice et qui a ramené des produits », deux ans dont un avec sursis.

Pour Gérard Ruatea, qui a « participé une dizaine de fois à la fabrication de l’ice, qui a ramené des produits et qui a repris la fabrication à son compte après l’arrestation du couple », cinq ans dont un avec sursis et son maintien en détention.

Pour Marama Hoata, qui a « fourni médicaments et produits », quatre ans dont un an avec sursis avec mandat de dépôt.

Pour Israel Teuru, « consommateur d’ice, qui a fourni médicaments et produits mais qui n’a pas participé à la fabrication », quatre ans dont un an avec sursis avec mandat de dépôt.

Pour Matahi Faaruia, « qui a été très proche du tandem Rattinassamy- Ruatea et qui a fourni médicaments et produits et a eu une participation pas négligeable », quatre ans dont deux ans avec sursis. À noter que celui-ci a fait très fort en se faisant attraper en début d’après-midi, avec dans son sac une pipette et du cannabis, alors qu’il franchissait le sas de sécurité à l’entrée du tribunal.

Pour Taiau Toofa, « qui a amené des médicaments pour fumer gratuitement et qui a revendu de l’ice pour le compte de Rattinassamy », trois ans dont 17 mois avec sursis.

Pour Frédéric Bonno, « qui profitait de travailler dans une grande surface de bricolage où il avait des réductions, pour acheter des produits pour Rattinassamy contre lesquels il était payé en ice », trois ans dont 18 mois avec sursis.

Pour Teiki Marurai, « qui échangeait du cannabis contre de l’ice et qui revendait pour le compte de Rattinassamy », deux ans dont 18 mois avec sursis.

Pour Gino Marurai, « qui revendait pour le compte de Rattinassamy », 18 mois avec mandat de dépôt.

Pour Heifara Perez qui « a été le premier sur le territoire à produire de l’ice, mais dont on n’a pas la preuve qu’il en a revendu, et pour lequel on estime sa production à 10 ou 15 grammes », cinq ans dont un an avec sursis et maintien en détention.

Pour Roland Lesca, « qui n’a pas tenu un rôle très important dans le labo de Perez, mais qui a quand même participé au nettoyage du produit et cela sous le coup de la récidive », quatre ans dont deux avec sursis.

Pour Sylvain Ah Chong, « qui dit qu’il est accusé à tort mais dont on a des éléments à charge contre lui et que tous le désignent comme étant à l’origine de la fabrication d’ice, son nom revenant tout le temps dans ce dossier », trois ans avec mandat de dépôt.

L’audience s’est poursuivie avec les plaidoiries des avocats et le délibéré sera rendu demain.

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