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Le procès de l’ice « made in Tahiti »

La série américaine Breaking Bad a fait des émules à Tahiti, si l’on en croit le procès qui s’est ouvert ce mardi. En cause, treize prévenus qui se livraient à la fabrication artisanale d’ice et qui écoulaient leur production sur le marché local. Deux laboratoires clandestins qui n’avaient aucun lien entre eux, si ce n’est la personne qui les a initiés à la fabrication de la meth. La peine prévue pour ce genre de faits est de trente ans.

En 2019, les forces de l’ordre apprennent par un informateur l’existence d’un labo clandestin d’ice. Un labo installé chez un couple, Toanui Rattinassamy, 38 ans, et sa compagne Vanina Faua, 37 ans, à Tautira. Une surveillance s’installe avec repérages et écoutes téléphoniques et les gendarmes ont vite la confirmation de production et de revente d’ice. Ils font une descente chez le couple et trouvent le matériel nécessaire à la fabrication de l’ice. Médicaments contre le rhume à base d’éphédrine, piles au lithium, acétone, nitrates, soude, acide etc…. Les gendarmes trouvent aussi quelques sachets remplis d’une poudre blanche, qui une fois analysée révèleront des traces de méthamphétamine. À noter que les médicaments précités sont désormais réglementés à la vente sur le territoire à la suite de cette affaire.

L’autre labo, situé non loin du premier, a été démantelé un peu par hasard. C’est lors d’une opération anti-paka que les gendarmes découvrent un stock de produits servant à la confection de méthamphétamine chez Heifara Perez, 41 ans, au nombre des prévenus de ce procès. Le point commun entre ces deux affaires, c’est un homme, Sylvain Ah-Chong, 40 ans, désigné comme étant celui qui a livré le secret de la fabrication de l’ice à Toanui Rattinassamy et Heifara Perez. Ce qu’Ah-Chong nie.

« Ce n’est pas compliqué, mais ça peut péter à la gueule »

À la barre, la plupart ont plus ou moins reconnu les faits. Toanui Rattinassamy est l’un de ceux-là. « J’ai rencontré Ah-Chong à Tautira, et il m’a proposé de fumer de l’ice. C’était un produit pas propre, pas fini avec un goût bizarre. Et il m’a dit que c’est lui qui l’avait fabriqué. Il m’a demandé si je voulais apprendre et comme je consommais j’ai dit oui. » Selon lui, Ah-Chong lui a montré comment faire, « deux ou trois fois, et après on s’est embrouillé. »

À ce titre, c’est un vrai miracle, vu la liste des ingrédients qui rentrent dans la composition de l’ice, qu’à la fabrication et à la consommation du produit, il n’y ait eu aucun décès. D’autant que si l’on s’en réfère au profil des prévenus il y a fort à parier qu’aucun d’entre eux n’a mis un jour les pieds dans un cours de chimie.

« J’ai mémorisé la recette en regardant faire Ah-Chong, poursuit Rattinassamy, ce n’est pas compliqué, mais ça peut péter à la gueule et les gaz sont nocifs. » De fait, il a fait un séjour au CHPF suite à l’explosion intempestive de son cocktail. Et depuis, il se méfie. « Dès que je vois des étincelles ou comme des éclairs quand je secoue le mélange, je jette la bouteille au loin. »

Il ira jusqu’à fabriquer son ice dans la nature, ou dans la maison inhabitée d’un de ses oncles, pour éviter de mettre le feu chez lui. Ce qui est la moindre des précautions quand on stocke des sacs de nitrates et autres substances inflammables chez soi, d’autant que des émanations d’hydrogène peuvent s’opérer lors de la manipulation.

« Faire de l’ice comme je fais, c’est comme faire des frites avec de la vieille huile »

S’il s’améliore avec le temps dans la manipulation des produits, il n’en reste pas moins que l’ice qu’il fabrique n’a que peu de rapport avec celle made in USA. Tant au niveau de ses effets que du goût. « Faire de l’ice comme je fais, c’est comme faire des frites avec de la vieille huile. Ce sont des frites, mais pas très bonnes. »

Son apparence n’était pas non plus habituelle. Alors que l’ice se présente sous forme de cristaux de glace, d’où son nom, la sienne c’est de la poudre. C’est un peu par hasard qu’il a trouvé la combine pour la transformer en cristaux. Du coup voyant qu’il ne pouvait la faire décemment passer comme de l’ice venant d’Hawaii ou de Los Angeles, il a décidé de la baptiser NZ, comme si elle venait du « pays du long nuage blanc », pour expliquer sa qualité.

De temps à autre sa femme venait lui donner un coup de main. Celle-ci, pas au courant de son business dans les premiers temps, soupçonnait qu’il avait une maîtresse. Elle l’a suivi, un jour qu’il se rendait dans la maison de son oncle pour jouer au petit chimiste, et quand elle est rentrée, elle a vu les produits et son mari en pleine fabrication. Il lui a tout avoué et elle est rentrée dans la combine.

Elle se chargeait de trouver les produits nécessaires à l’élaboration de la meth et aussi du nettoyage, une fois la cuisine terminée. « Mais je n’en fabriquais pas, trop dangereux » explique-t-elle à la barre. Quant à la raison pour laquelle elle a suivi son compagnon dans sa dangereuse entreprise, « cela faisait un an que je fumais, je consommais et j’étais amoureuse de lui. »

De la difficulté de s’approvisionner en médicaments

On l’aura compris, si la fabrication ne nécessite pas particulièrement de connaissances en matière de chimie, le plus dur reste de se fournir en matière première. Car si nitrates, acide et soude se trouvent relativement facilement sur le territoire, il n’en reste pas moins que la matière première, les médicaments contenant de l’éphédrine, ne se trouvent qu’en pharmacie et qu’il est difficile d’en acheter tout un stock sans éveiller les soupçons.  Rattinassamy devait donc trouver des « coursiers » chargés de se rendre dans différentes pharmacies de Tahiti, et en échange il leur donnait de l’ice.

Gérard Ruatea, 31 ans, est le premier à accepter et le seul à qui il a confié le secret de la fabrication. Il l’a connu alors qu’il était encore associé avec Ah-Chong et que tous deux cherchaient de la soude et ne savaient pas où s’en procurer. Les parents de Ruatea utilisaient de la soude pour nettoyer la nacre et donc celui-ci était tout indiqué pour leur en procurer.

« Ils m’ont fait fumer et c’est comme cela que je suis rentré dedans. Quand Rattinassamy s’est embrouillé avec Ah-Chong, je l’ai aidé a fabriqué l’ice. J’étais son apprenti et j’allais acheter des médicaments, des produits etc… ». Il a même été en contact avec quelqu’un qui soi-disant travaillait au CHPF et qui pouvait, une fois par mois, lui fournir un carton plein de médicaments, contre un gramme d’ice. Mais une fois l’ice empoché, il ne l’a jamais revu, ni la marchandise promise.

20 000 Fcfp de matières premières pour 80 000 Fcfp de bénéfices

Après l’arrestation du couple Rattinassamy, Ruatea a tenté de reprendre l’affaire à son compte, mais les gendarmes ont stoppé net sa carrière d’entrepreneur. « Il m’avait dit que s’il se faisait arrêter, il ne balancerait personne, à condition qu’on l’aide financièrement, et comme j’étais sous l’emprise de l’ice, j’ai essayé. » Il l’assure, « on a fait cela surtout pour notre consommation personnelle. J’étais content d’aller à Nuutania car cela m’a fait grandir dans ma tête. Si je n’étais pas allé en prison, je n’aurais jamais arrêté. »

Un aveu que l’on veut bien croire car si l’on excepte les risques, le business est plutôt rentable. Il faut compter une boite de médicaments pour un gramme d’ice et à peu près pour 20 000 Fcfp d’autres ingrédient, quatre heures de manipulations pour arriver au produit fini. Le prix auquel il vendait le gramme d’ice était d’environ 100 000 Fcfp, soit nettement moins que l’ice made in USA. Le bénéfice est vite vu.

Pour autant Rattinassamy estime gagner en moyenne « entre 50 et 70 000 Fcfp par mois, vu que l’on fumait quasiment toute notre production. » Mais la justice estime sa production entre 15 et 25 grammes par semaine, ce qui fait pas mal pour une consommation personnelle et surement plus que 50 ou 70 000 Fcfp de bénéfices.

La première journée de ce procès s’est achevée avec l’audition des seconds couteaux qui fournissaient « le laboratoire Rattinassamy » en matières premières. Le procès se poursuivra mercredi.

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