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Lisa, ou le retour de l’enfant fa’a’amu

©CP/Radio1

Lisa Rocca, enfant fa’a’amu revenue au fenua, veut aider les autres Polynésiens adoptés qui se demandent s’il faut rentrer ou pas, chercher sa famille biologique ou pas. Forte de son expérience, elle veut la partager, diffuser un message positif, et créer du lien pour réconcilier ces deux identités qu’elle voit comme une chance et non un handicap.

À 27 ans, Lisa Rocca découvre aujourd’hui réellement la Polynésie. Adoptée à sa naissance, elle a grandi à Grenoble, dans une famille qui avait adopté d’autres enfants en France. Cinq ans après, ses parents adoptent aussi une de ses sœurs biologiques. Respectueux de la tradition, ils ont gardé le contact avec la famille biologique de leurs filles, originaire de Manihi.

Elle grandit heureuse, vient en Polynésie plusieurs fois, rencontre la femme qui lui a donné la vie et ses autres frères et sœurs. « Je n’ai jamais osé poser trop de questions, mais j’étais contente d’être là, contente d’être accueillie », dit Lisa. Elle comprend que c’est sa mère qui a voulu donner ses filles à l’adoption, et « qu’elle est plutôt détachée, mais très à l’aise avec ça. J’ai découvert qu’elle avait donné d’autres enfants à l’adoption, mais qu’elle élève aussi d’autres enfants qui ne sont pas les siens. » Leur père, lui, est plus ému.

Après son bac, Lisa entreprend des études qui l’attirent : un master 2 en maîtrise d’ouvrage et du bâti à la faculté d’urbanisme de Grenoble. « J’ai fait presque toutes mes études en alternance, chez des promoteurs immobiliers, dans une coopérative HLM pour permettre l’accession à la propriété de ménages aux faibles revenus, très vite j’ai eu un CDI, je me suis installée avec mon tane, j’étais une jeune femme accomplie. »

La chance d’un « statut hybride »

Mais elle pense qu’il est important que son compagnon connaisse ses origines, d’autant qu’ils ont l’intention de fonder une famille. L’année dernière, elle revient à Tahiti pour la première fois depuis 15 ans, et pour la première fois aussi sans sa famille adoptive. Sa famille biologique est à l’aéroport : « C’était émouvant, je ne savais pas qu’ils viendraient me chercher, j’avais juste envoyé un message pour dire que je venais et que ce serait bien de faire un repas. » Mais elle garde une distance, « pour me protéger aussi », dit-elle.  Son accent français, et ses études, suscitent une certaine curiosité parmi les Polynésiens : les gens l’interpellent et lui disent de revenir travailler ici.

Lisa et son compagnon sont surtout subjugués par l’environnement en Polynésie, tant côté mer que côté montagne. De retour en France, Lisa envoie des candidatures spontanées, en précisant aussi le nom de sa famille biologique et en mettant sa photo « pour qu’ils comprennent que j’avais un lien. J’ai surtout contacté les collectivités territoriales et quelques promoteurs. » Plusieurs services la rappellent très vite, ravis de son « statut hybride », et on lui propose un poste de chargée de projet à la Direction de l’agriculture.

En août dernier, ils font le grand saut et décident de revenir, au moins pour quelques années. Ses parents adoptifs la soutiennent, dit-elle, « même si ma maman, ça lui fait mal au cœur. » Sa jeune sœur, elle, a plus de difficultés relationnelles et scolaires : « On a été élevées pareil, mais c’est vrai qu’elle n’a pas vécu le fait d’être adoptée de la même manière que moi. Elle préfère rester avec nos parents adoptifs, elle s’y sent protégée. »

« Pour beaucoup en métropole, ça se passe mal, autant pour les enfants que pour les parents »

Lisa et son compagnon sont installés à quelques minutes à peine du quartier familial où réside la famille biologique de Lisa. Elle a pris l’habitude, deux fois par mois le vendredi, de rendre visite à sa grand-mère qui lui apprend la culture polynésienne, l’histoire du fenua, et celle de son grand-père qu’elle n’a pas connu. « Ça se passe très bien, la famille nous convie aux grands ma’a, mais on garde un peu une distance, je pense qu’on se protège tous un peu. »

Lisa veut créer du lien, et comme ses parents qui avaient regroupé plusieurs familles adoptantes en métropole, créer un collectif pour aider les Polynésiens qui ont grandi en France. Pour la plupart d’entre eux, et leurs parents adoptifs, « ça se passe mal ».

Elle veut ainsi accompagner ces enfants polynésiens de métropole, leur faire connaître d’autres personnes qui ont eux aussi opéré leur retour au fenua, et les aider à réconcilier leurs deux identités grâce à ces témoignages. « On a tous plus ou moins grandi sans manquer de rien, dans des familles où l’on peut réussir. Mais beaucoup ne se sentent pas à leur place là-bas, certains sont confrontés au racisme, beaucoup aussi ont des problèmes de surpoids. S’ils veulent tenter de revenir, je veux les aider. »

Un groupe Facebook, Lisa fa’amu, a été créé, et on peut joindre Lisa à l’adresse suivante : projetfaaamu@gmail.com.

 

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