ACTUS LOCALES

Pêche : des DCP dérivants en plein centre de Papeete

Le Capt. Vincent Gann, un grand thonier samoan est amarré sur le quai de la place Vaiete depuis plusieurs jours. À son bord, des gigantesques sennes, dont l’utilisation est interdite dans la ZEE, mais aussi plusieurs dizaines de DCP dérivants bien visibles sur un des ponts. Des dispositifs relâchés dans les eaux internationales, et très critiqués pour leur impact sur l’environnement et les stocks de poisson… Mais que rien n’interdit d’avoir à bord lors d’une escale à Tahiti.

Difficile de rater le Capt. Vincent Gann, installé depuis plusieurs semaines dans le port de Papeete. Avec son mât à poste d’observation, son esquif arrière, ses gigantesques filets stockés sur le pont, et ses grands systèmes de palans qui permettent de remonter ces nasses à poissons, ce thonier de 67 mètres ne ressemble en rien aux navires de pêche polynésiens. Il faut dire que ce bateau immatriculé à Pago Pago pratique pêche à la senne, une technique interdite dans les eaux du fenua. Les thoniers locaux, les seuls à avoir le droit de pêcher dans la ZEE, utilisent des palangres, longues lignes dotées de centaines d’hameçons, et qui permettent de faire plus de distinction entre les prises que les grands filets qui entourent les bancs. Contrairement aux senneurs internationaux, ils n’ont donc pas l’utilité des Dispositifs de concentration de poisson (DCP) dérivants, eux aussi strictement interdits dans la ZEE. Le Capt. Vincent Gann, lui, en a plus d’une centaine sur le pont.

Les DCP dérivants, « du consommable » pour les gros armements

La présence de ces DCP, bien visibles depuis la place Vaiete où le chalutier est aujourd’hui amarré, n’est pas en soit  surprenante : « tous les navires de pêche internationaux les utilisent », explique un armateur polynésien. Mais leur présence au grand jour a tout de même de quoi faire grincer des dents : ces instruments sont au centre d’un intense débat en Polynésie et dans toute la région. D’abord parce que ces carrés de plastique, de bois ou de bambous, généralement bardés de vieux matériel de pêche, ont un impact néfaste sur l’environnement. Tous équipés d’une puce GPS, ils sont largués en grandes quantités dans les eaux internationales, pour être interceptés quelques semaines plus tard, le temps d’avoir « concentré » du poisson autour d’eux.

Mais beaucoup de DCP, très peu chers à produire, ne sont jamais récupérés : ils restent livrés aux courants et finissent par s’échouer sur une plage ou un récif. Les habitants de Tuamotu, qui en ont retrouvé des « milliers » d’après le Pays, en savent quelque chose. « Pour les gros armements, c’est du consommable », explique un connaisseur. Ces DCP dérivants, sont aussi, parfois, mis à l’eau à proximité directe d’une zone réglementée comme la ZEE polynésienne, qu’ils traversent discrètement portés par les courants. Les chalutiers viennent faire leur prise une fois qu’ils regagnent les eaux internationales. Du « vol de ressources » pour les pêcheurs, et une zone grise dans la règlementation.

Victime d’une avarie, le Vincent Gann « n’a pas pêché dans la ZEE »

Reste que leur utilisation hors des ZEE est parfaitement légale. Comme leur stockage à bord. « Les navires, dans le cadre d’un passage inoffensif dans la ZEE et d’escales à quai ont le droit de posséder à bord des DCP, sans les mettre à l’eau », comme le précise la Direction des ressources marines. Difficile, toutefois, de savoir où sont largués ces petits engins rudimentaires. Les autorités, du côté de l’État cette fois, sont en revanche en mesure de savoir quand un senneur entre en action de pêche, grâce à des mouvements suspects et des variations de vitesse, surveillés grâce à leur balise satellitaire obligatoire. Le JRCC, qui coordonne cette surveillance est d’autant plus certain que la Capt. Vincent Gann n’a pas pêché dans la ZEE qu’il a participé, avec les moyens du pays, aux opérations pour le faire venir à Papeete.

Le navire samoan a en effet eu une avarie en mer mi-octobre, alors qu’il se trouvait au large des Kiribati. Il a été tracté vers Tahiti, mieux équipée en équipements de maintenance, et d’où une partie de l’équipage a pu être évacué. Impossible, donc, qu’il ait pêché ou même largué des DCP dans la zone : « ce bateau est dans les clous », précisent les autorités. « Tout ça est légal, mais est ce que c’est vraiment normal ? », interroge en retour un armateur du port de pêche.

12 000 navires surveillés, une cinquantaine contrôlés, aucune pêche illégale constatée

Si le senneur, aujourd’hui en attente de pièce de rechange, n’a pas fait l’objet d’un contrôle particulier à bord, c’est que son avarie a eu lieu au tout début de sa campagne de pêche, et que ses cales sont quoiqu’il arrive vides, précise-t-on au Haut-commissariat. La raison, aussi, pour laquelle tant de DCP sont encore en attente de largage sur son pont supérieur. Les autorités de l’État précisent tout de même que plus de 12000 navires entrant ou approchant de la ZEE ont fait l’objet d’une surveillance sur les 11 premiers mois de l’année. Par satellite, mais aussi grâce aux 130 heures de vol des Gardian et de Dauphin, qui survolent les navires de pêche pour effectuer des « contrôles visuels » et photographiques. 57 d’entre eux ont fait l’objet d’une inspection physique à bord, lors de leur passage dans la ZEE, et 33 autres d’une assistance pour avarie. « Les pêcheurs internationaux savent bien que les ZEE françaises sont très surveillés, et certains se signalent même avant d’entrer », appuie un responsable du Haut-commissariat. La dernière constatation de pêche illégale dans la ZEE date de 2007.

Discussions régionales et internationales sur les DCP

Malgré la certitude de l’État de l’absence de pêche illégale dans la ZEE, la problématique des DCP reste entière. Et c’est dans les instances internationales qu’elle a une chance d’être réglée. Le sujet était particulièrement cher au dernier ministre de l’Environnement Heremoana Maamaatuaiahutapu, qui l’a porté, avec le soutien de l’État, dans des instances onusiennes, ou des commissions de pêche comme la IATTC (zone interaméricaine) ou la WCPFC (zone du Pacifique central et occidental, dont fait formellement partie la Polynésie). L’idée était d’obtenir un alignement des législations de chaque ZEE sur la question, mais surtout d’aller vers un renforcement de la règlementation des eaux nationales sur ces dispositifs. Sa successeure, la vice-présidente Éliane Tevahitua, partage le combat, et de nouvelles réunions, prévues début 2024, devraient permettre d’avancer sur ces projets de règlementation. La Polynésie a aussi poussé, plus récemment, et toujours sur la scène internationale, pour un mécanisme de récupération systématique des DCP flottants avant qu’il ne s’échouent. Le Pays avait notamment travaillé avec les représentants de l’Équateur, qui dispose d’une importante flotte de senneur, sur ce sujet. En attendant que des décisions formelles soient prises sur la règlementation régionale, un formulaire de déclaration des observations de DCP – qui permettent de recenser, mais aussi retirés les dispositifs échoués – est disponible sur le site de la DRM.

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1 Commentaire

  1. pksiu
    16 décembre 2023 à 10h53 — Répondre

    Il faudrait obliger ces senneurs à marquer leurs DCP dérivants :On pourra ainsi savoir à qui ils sont et on pourrait les contraindre à les récupérer contre le paiement d’une amende pour pollution voire pour pêche illégale si on les retrouve dans notre ZEE ?

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