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Pourquoi on maNUfeste ?

© MAXPPP

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A POIL – Intermittents, féministes ou écologistes : les protestataires sont de plus en plus nombreux à défiler nus pour se faire entendre.

Des paysans mexicains aux Femen en passant par les intermittents, ou les étudiants, les protestataires sont de plus en plus nombreux, depuis les années 60, à se déshabiller pour faire entendre leur voix. L’influence des médias n’y est pas étrangère. Une photo fait en effet le tour du monde en quelques minutes et donne ainsi des idées dans d’autres pays. Mais est-ce que se dévêtir recouvre toujours le même enjeu, d’une région du monde à l’autre ?

>>> Europe 1 a demandé à Claude Guillon d’analyser ces « nouveaux » comportements. Il est écrivain, et auteur d’un ouvrage intitulé Je chante le corps critique : les usages politiques du corps aux éditions H&O, en 2008.

Préambule. A-t-on le droit de manifester nu ?

C’est parfaitement possible de poursuivre quelqu’un pour outrage public à la pudeur. Il y a donc un risque. Dans la pratique, ça dépend beaucoup des périodes, des lieux. Vous risquez parfois moins en manifestant parmi 2.000 personnes mais pouvez être verbalisé au bord d’une rivière où il n’y a personne.

Vous évoquez « un usage politique de la nudité », qu’est-ce que ça signifie ?

Faire un « usage politique de la nudité » veut dire faire un usage plus ou moins réfléchi de la nudité comme une arme. C’est l’usage qu’on peut faire du corps nu dans des mouvements sociaux ou au service de revendications politiques, sociales, culturelles, etc.

Qui sont les manifestants qui choisissent de défiler nus ?

Ils sont extrêmement variés. On ne peut pas les réduire, ni à une catégorie socioprofessionnelle, ni à une région du monde. C’est surprenant parce qu’on a surtout des images du mouvement hippie, qui concerne plutôt de jeunes gens en Occident, surtout issus de la petite bourgeoisie, éventuellement déclassés. Or quand on fait une recherche dans la presse internationale, on s’aperçoit que la nudité est utilisée aussi bien par des paysans au Mexique que par des femmes en Afrique, et même dans certains pays arabes, c’est-à-dire dans des régions du monde où le tabou à briser est beaucoup plus important. Et même si aux Etats-Unis, la vue d’un téton peut affoler le pays, on se doute quand même que ce n’est pas tout à fait la même chose pour des femmes indiennes ou africaines de se mettre nues dans la rue que pour des étudiantes occidentales. Il y a une infinité de nuances.

Dans le Printemps québécois récent, des manifestants ont fait usage de la nudité. Mais quand vous regardez les photos, la plupart du temps, c’est torse nu, et encore, pas tout à fait. Il y a le plus souvent des peintures, des cache-tétons, des soutiens-gorges. Il y a donc des déclinaisons très subtiles suivant les régions, et y compris en Occident.

Avez-vous repéré une date à laquelle on a commencé à se mettre nu pour manifester ?

Il y a toujours eu des gens nus. D’abord le rapport à la nudité a beaucoup changé à l’intérieur même de nos sociétés. Il n’était pas si extraordinaire de voir des gens nus parce qu’ils allaient aux bains, aux étuves… ou très légèrement habillés, à l’occasion de fêtes populaires aussi.

Par contre, des actions collectives utilisant de manière un peu réfléchie la nudité, ça me semble beaucoup plus récent. Je ne connais pas d’exemple avant les années 60.

Comment analysez-vous cette façon de se dévêtir pour protester ?

© REUTERS

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Il existe des cas très différents, qui sont aussi liés aux catégories socioprofessionnelles, aux catégories de classes. Ce n’est évidemment pas la même chose de défendre sa peau contre des exactions militaires dans un état indien et de réclamer le droit de se promener torse nu dans les parcs américains. Dans le cas des milieux ouvriers ou paysans, la nudité vient en tout dernier ressort, quand ils ont essayé tout le reste et qu’ils ont l’impression que rien ne permet d’attirer l’attention ou de renverser un rapport de forces symbolique. Leur action met alors en jeu les médias et l’opinion publique alors qu’ils ont déjà manifesté. Je pense notamment au mouvement des paysans au Mexique. S’ils en arrivent à utiliser la nudité, et notamment la nudité féminine, c’est qu’à un moment ils se sont dit : peut être que comme ça, on va, sinon nous entendre, au moins nous voir.

 

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Mais pour ces paysans Mexicains, l’acte de se mettre nu a quelle portée ?

Pour eux, c’est vraiment le dernier recours parce que ça représente quelque chose d’énorme à soulever, de beaucoup plus compliqué que cela peut l’être pour n’importe quelle jeune femme, par exemple en France, qui va enlever son soutien-gorge. Pour elle les risques sont à peu près nuls, c’est juste surmonter sa pudeur ou ses complexes personnels. Alors que dans certaines régions, ça va à l’encontre de toute une culture.

Et que dire des Femen, un mouvement qui utilise beaucoup le nu dans ses actions ?

C’est un usage du nu qui n’a à peu près aucune signification pour les Femen. C’est uniquement parce qu’elles ont repéré, par expérience, que ça attirait les photographes de presse, qui sont des hommes la plupart du temps d’ailleurs, ce qui ne fait que renforcer le phénomène. Elles le racontent d’ailleurs. Elles ont été sollicitées par les photographes de presse qui leur ont dit : enlevez le haut, on prend des photos.

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L’impression que ça donne, sans avoir fréquenté leur groupe, c’est qu’il n’y a pas une réflexion particulière sur la nudité. Si, grossièrement, comme elles sont féministes, il y a une opposition à l’appropriation du corps des femmes par un système de domination masculine. Il y a chez les Femen un paradoxe qu’on trouve dans d’autres groupes, comme le groupe PETA, qui défend le droit des animaux. Eux utilisent la nudité complète, ce qui n’est arrivé que très récemment avec les Femen. Et surtout ce sont toujours des mannequins. Les filles qui se mettent nues pour la cause sont belles, grandes, et elles n’ont pas de poils. Dans ces deux cas, ce sont des exemples d’utilisation purement triviale de la capacité du corps à émoustiller, sans réflexion sur ce qu’est la nudité et sur le rapport entre le corps des femmes et les systèmes de domination.

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Que dire des intermittents qui se sont mis nus pour protester récemment ?

Aurélie Filippetti prise à partie par des… par UnionArdennais

C’était déjà arrivé en 2003 parmi les intermittents. Pour eux il y a l’idée d’attirer l’attention, mais il y a aussi une idée qu’il n’y a pas du tout chez les Femen, qui est d’afficher une vulnérabilité. C’est une façon de dire : on risque notre peau. Donc, on la montre. On se montre fragile, et c’est assez malin parce que c’est une façon de retourner ça contre l’adversaire, en affichant aux yeux de tous, la fragilité dans laquelle il vous a mis, qu’il s’agisse d’un gouvernement, d’un groupe paramilitaire etc.

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Source : Europe1

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