ACTUS LOCALESÉCONOMIEENVIRONNEMENT

Sur les traces de la canne à sucre polynésienne, « patrimoine à protéger et à valoriser »

Des cannes récoltées à Taha’a pour le rhum Mana’o. ©Avatea

Une équipe de chercheurs locaux et internationaux parcourt les archipels pendant tout le mois d’avril pour répertorier les variétés autochtones de canne à sucre. Des plantes introduites par les premiers navigateurs polynésiens, et qui beaucoup plus tard, ont été prélevées et disséminées par des Européens comme Bougainville pour être cultivées tout autour de la planète. Cette histoire, qu’il s’agit d’asseoir scientifiquement, les producteurs de rhum veulent la mettre en avant pour conquérir leur indication géographique protégée… Et porter le développement d’une filière « de haute qualité » à l’export. Objectif : 1 000 hectares de cannes locales, contre 70 aujourd’hui.

C’est une véritable chasse au trésor qui vient d’être lancée dans les archipels polynésiens. Dans les prochaines semaines, une équipe de chercheurs va parcourir les Marquises, les Australes, les Tuamotu et la Société à la recherche de précieuses variétés : celles des cannes à sucre autochtones de la Polynésie. Car bien avant d’être cultivée pour la production de sucre ou, aujourd’hui, pour la production de rhum local – environ 70 hectares actuellement répartis entre Tahiti, Moorea, Taha’a ou Raiatea – la plante a été transportée et plantée d’île en île par les navigateurs polynésiens. Comme le ‘uru ou le coco, la canne présentait d’importantes qualités nutritives et gustatives… Mais elle était aussi utilisée dans la pharmacopée et tenait une place de choix dans certaines cérémonies traditionnelles.

Les « cannes de nos ancêtres », un patrimoine à valoriser

C’est sur la piste de cette histoire que se lance donc, ce mois-ci, un petit groupe de scientifiques, chargés de recueillir, de décrire et de prélever des échantillons des différentes variétés qu’ils trouveront dans les îles visitées. Et c’est peu de dire que l’équipe peut s’appuyer sur une certaine expérience. On y trouve un botaniste hawaiien, Noa Kekuewa Lincoln, qui est l’auteur de l’ouvrage de référence sur la riche diversité de cannes en pays maoli. À ses côtés, une généticienne, Angélique D’hont, attachée au centre de coopération en recherche agronomique (Cirad) basé à Montpellier, et qui vient, avec des collègues, de présenter le premier séquençage complet du génome de la canne à sucre. Ils sont aussi accompagnés du l’ethnobotaniste et chimiste moléculaire local Jean-François Butaud, grand connaisseur des forêts et des plantes du fenua.

Tous ont été réunis par Marotea Vitrac, qui, en plus d’être le directeur des projets agro-industriels à la Brapac, et le président du syndicat des producteurs de rhum polynésien*, est le porteur, depuis bien tôt sept ans, d’une thèse sur la caractérisation des cannes à sucre de Polynésie. Un travail mené avec l’UPF et le Cirad, qui est déjà passé par des prélèvements et des analyses des cultivars présents dans les îles de la Société. Le but : fournir des arguments historiques, agronomiques et scientifiques à la création d’une indication géographique protégée pour le rhum « pur jus de canne » polynésien. « Ces vieilles variétés, ce sont les cannes de nos ancêtres, c’est un patrimoine qu’il faut conserver et protéger, mais surtout, qu’on a aujourd’hui la possibilité de valoriser, explique-t-il. Cette démarche de recherche variétale qu’on avait déjà lancée en 2015 dans les îles de la Société, on a voulu la mener plus loin. C’est pour ça qu’on a invité ces chercheurs partenaires de nos travaux depuis plusieurs années, pour aller vérifier dans l’ensemble des archipels ce que l’on trouve, de dresser la liste contemporaine de ces variété Otahiti. »

Quand les cannes polynésiennes dominaient l’industrie mondiale du sucre

« Otahiti », c’est le nom qui a été donné à la variété de canne « découverte » par Bougainville en 1768 lors de son fameux voyage autour du monde. Ou plutôt aux variétés de cannes, puisque les recherches ont plus tard révélé la grande diversité de ces plantes précieusement gardées par les chefferies tout autour du Pacifique. Cinq variétés d’origine polynésienne ont déjà été identifiées au fenua, auxquelles s’ajoutent deux autres variétés anciennes plus probablement ramenées par des Européens, et bien sûr, des variétés d’introduction moderne. À titre de comparaison, Hawaii a déjà identifié 70 variétés sur son territoire. Les cannes à sucre locales ont-elles disparu au fil du temps – et de l’abandon de la filière, au cours du XXe siècle – ou n’ont-elles tout simplement pas encore été répertoriées ? C’est une des questions auxquelles doit répondre le groupe de scientifiques, appelé à compléter le panorama et l’histoire déjà très riche de la canne locale.

« Cette canne Otahiti, aussi connue comme la canne Bourbon, puisque Bougainville l’a d’abord introduite à la Réunion, elle va être exportée et plantée dans le monde entier, rappelle Marotea Vitrac. Elle va faire le tour du monde, et ça va même être la première canne cultivée à l’international jusque dans les années 1880. » Elle sera ensuite remplacée par des variétés hybrides, plus productives et plus résistantes aux maladies qui ravagent les plantations. Mais le fait est que beaucoup de grand pays producteurs aux Amériques, dans les Caraïbes ou à Hawaii ont, un temps, construit leur industrie sur des cannes polynésiennes. « Quand on a découvert ça, on avait senti la pépite qu’on avait entre les doigts. » 

Une pépite, certes. Mais un filon qui reste à découvrir, ou en tout cas à faire découvrir. Car si le rhum polynésien s’est déjà fait remarquer bien au-delà de nos frontières – médaille d’or au dernier concours agricole de Paris pour le Mana’o Tahiti 50°, argent pour le Mana’o Rangiroa 48,5° et le VSOP du domaine PariPari à Taha’a, bronze pour le 62° du même domaine ainsi que pour le rhum Manutea – sa production reste limitée. 500 000 bouteilles chaque année au fenua, dont seules 100 à 150 000 sont issues des 70 hectares de plantations de cannes locales. Le reste étant fait avec de la mélasse importée, et se retrouvant sur les étals à des prix moins élevés.

1 000 hectares, 3 000 emplois… « Pas des ambitions démesurées »

Le syndicat des producteurs de rhum, comme d’ailleurs l’association des planteurs de cannes, a des ambitions bien plus fortes pour ce « produit de très haute qualité », qui se conserve, se bonifie – et prend de la valeur – avec le temps. Mais aucun doute : pour développer la filière, forcément à l’export, il faut « raconter une histoire » et « apporter des garanties » aux clients à l’export. D’où l’idée de l’IGP (indication géographique protégée), un outil très difficile à obtenir, mais qui mettra en valeur, auprès des amateurs internationaux, l’idée que la production polynésienne est « la seule au monde » à pouvoir s’appuyer sur des cannes autochtones.

« Quand on annonce 1 000 hectares au gouvernement, 3 000 emplois, c’est pas du pipeau, on est prêt à le faire, en tout cas on fait tout pour aujourd’hui, on le montre et c’est pas des ambitions démesurées, souligne le président du syndicat. Rien qu’à Marie-Galante, une île grande comme Moorea dans les Caraïbes, il y a 2 000 hectares de canne à sucre. À la réunion il y a 22 000 hectares, en Martinique 6 000, en Guadeloupe 9 000… à Hawaii il y avait plus de 100 000 hectares de cannes. Pourquoi on n’arriverait pas à faire 1 000 hectares ici sur 118 îles ? »

La mission du mois d’avril, dans les archipels polynésiens, sera suivie d’une autre, en mai, à Hawaii. Il s’agira là encore de récolter des échantillons et des photos, cette fois pour comparer les cannes à celles du fenua, et « retracer », pourquoi pas, l’histoire de leur introduction. Ces opérations de terrain devront bien sûr être suivies de longs mois d’analyse au niveau génétique, agronomique et chimique, toujours entre l’UPF, le Cirad, Hawaii, et même la direction de l’agriculture, qui soutient financièrement le projet depuis ses débuts. C’est d’ailleurs la DAG, qui, la première pourra accorder une « origine protégée » au « rhum pur jus de canne polynésien ». Mais le graal du secteur, c’est bien l’inscription de l’IGP dans les textes européens, aux côtés de celle des rhums de Guadeloupe. Le syndicat, lancé en 2019, vise une obtention « d’ici 2026 ». Le temps de « bonifier » le dossier.

*qui est en fait le « Syndicat de défense de l’Indication Géographique Rhum pur jus de cannes polynésien »


 

Article précedent

La CTC met encore une très mauvaise note au Syndicat intercommunal des Tuamotu-Gambier

Article suivant

La Minute du Taote 05/04/2024

Aucun Commentaire

Laisser un commentaire

PARTAGER

Sur les traces de la canne à sucre polynésienne, « patrimoine à protéger et à valoriser »