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15 chercheurs publient « la première grande synthèse sur l’histoire de la bombe française »

Présenté comme « la première grande synthèse sur l’histoire de la bombe nucléaire française », l’ouvrage Des bombes en Polynésie : les essais nucléaires français dans le Pacifique sort en librairie ce jeudi. Il a été réalisé par 15 chercheurs sur la base des dernières archives déclassifiées.

Une « histoire lourde par sa violence ». C’est par ces mots que l’anthropologue Serge Tcherkézoff a décrit les trente années d’essais nucléaires en Polynésie, ce mercredi soir à la Délégation de la Polynésie française à Paris, lors de la présentation de l’ouvrage dirigé par les historiens Renaud Meltz et Alexis Vrignon.

« Pourquoi un livre de plus ? » s’est interrogé le directeur des travaux, qui était présent en juillet dernier lors de cette fameuse table ronde parisienne sur les essais nucléaires, durant laquelle l’État s’était engagé à déclassifier des archives de cette période. Pour Renaud Meltz, Des bombes en Polynésie : les essais nucléaires français dans le Pacifique est le premier ouvrage à justement bénéficier de cette ouverture récente des archives, promettant ainsi des « informations inédites ». Il est aussi inédit, toujours selon Renaud Meltz, par son caractère pluridisciplinaire. En effet, il a réuni 15 chercheurs : des historiens, des géographes, des anthropologues, des juristes, « de plusieurs générations, avec des sensibilités différentes par rapport au fait nucléaire. Nous avons essayé de le faire avec la plus grande probité, la plus grande précision possible. »

Renaud Meltz a également rappelé que ce travail de synthèse est né d’une commande publique émanant du gouvernement de la Polynésie française et dont l’objectif était de nourrir en documentation le futur centre de mémoire des essais nucléaires. Mais l’historien avait cependant une condition préalable : l’ouverture des archives. Une condition obtenue donc en juillet dernier et qui, pour la première fois, impliquait deux personnalités polynésiennes, Yvette Tomasini et Yolande Vernaudon, la déléguée au suivi des conséquences des essais. « J’ai participé à cette table ronde et je peux vous dire que, dans un premier temps, très clairement l’État ne voulait pas qu’il y ait de représentants polynésiens dans la commission qui vise à déclassifier massivement les archives du CEP. Le gouvernement polynésien avait alors engagé une négociation assez serrée », dit l’historien.

D’après Renaud Meltz, « 90% » des archives « nous sont accordées » et « 8% sont en cours de délibération ». Le reste : des informations dites « proliférantes », « qui ne peuvent être communiquées », plus précisément des documents qui pourraient favoriser la fabrication et la prolifération d’armes nucléaires. Quoiqu’il en soit, Pour Renaud Meltz, la « tendance est positive » et a donc permis la réalisation de cet ouvrage de plus de 700 pages et dans lequel l’histoire des essais en Polynésie est abordée à travers 18 chapitres.

« Secrets et dissimulations » des essais atmosphériques

Le livre évoque ce qui a poussé l’État à choisir la Polynésie comme lieu des essais après l’indépendance de l’Algérie, et face à d’autres choix tels que le Massif central ou les Landes dans l’Hexagone, la Corse ou encore, d’autres territoires d’Outre-mer. Le choix final se serait fait après un survol de toutes les options, y compris les atolls de Moruroa et Fangataufa. Il évoque aussi la construction du CEP et son implantation sur l’ensemble de la Polynésie, jusqu’aux centres de loisir pour divertir des militaires appelés à passer quelques années loin de la France hexagonale.

Les chercheurs se sont aussi intéressés aux réactions locales et régionales, aux risques naturels, à l’impact du CEP sur l’environnement, au rôle de l’ONG Greenpeace, aux mémoires, aux réponses artistiques et littéraires ou encore aux indemnisations. Mais pour Renaud Meltz, le chapitre qui devrait davantage retenir l’attention est celui sur les « secrets et dissimulations » lors des essais atmosphériques, effectués de 1966 à 1974. Il souligne à ce sujet « une volonté de maitrise et de contrôle du risque », un « excès de confiance » qui s’est « fracassée sur la réalité », météorologique par exemple. « Les découvertes sont assez importantes, elles permettent de documenter la logique, ou l’illusion on va dire, de contrôle des risques (…), ce qui a fait que dès le premier tir les militaires ont malheureusement rencontré les limites de leur modélisation. »

 

Les chercheurs ont notamment cité un amiral de l’époque : « On ne peut pas alerter les Polynésiens qu’on ne maîtrise pas le risque ». L’opposition aux essais prendrait alors de l’ampleur et avec elle, l’opposition au colonialisme puisque l’ouvrage met également en exergue le lien, la convergence entre la lutte anti-nucléaire et la lutte anticoloniale, qu’elle soit polynésienne ou océanienne. « La logique des militaires était de dire, on ne peut pas communiquer sur les retombées, parce que ce serait remettre en cause l’existence du CEP. Or toute la dialectique c’est de dire que ce sont des territoires qui sont décolonisés, et on va faire bénéficier de moyens considérables qui vont survivre au CEP et qui permettront un développement plus endogène ».

Le travail va continuer au fur et à mesure de l’ouverture des archives. Un colloque se tiendra au mois de mai à Tahiti, et quasiment tous les contributeurs au livre seront présents. « Mais ce qu’on appelle vraiment de nos vœux, dit Renaud Meltz, c’est qu’il y ait une nouvelle génération de chercheurs, Polynésiens notamment, qui se saisissent de cet objet et qui, avec leur propre sensibilité et leur propre expérience, puissent contribuer à cette histoire. » L’Armée elle-même, dit-il, va financer une thèse, via un contrat doctoral de 3 ans, pour un chercheur qui travaillera à partir des archives militaires. « Et ce que je souhaite très vivement, c’est que des candidats polynésiens se lèvent, postulent, obtiennent cette bourse et écrivent l’histoire de leur pays. »

Déjà critiqué

Depuis la Polynésie, l’historien Jean-Marc Regnault, qui a publié son premier livre sur les essais en 1985, a regretté que l’ouvrage dirigé par Renaud Meltz ne cite pas ses travaux, tout en les reprenant. « La bibliographie ne doit pas ignorer (volontairement ?) des ouvrages fondamentaux pour comprendre la Polynésie. Je pense à Flots d’encre sur Tahiti de Daniel Margueron, à Tahiti et la France de Sémir Al Wardi et à mes divers ouvrages », écrit l’historien. « La déontologie impose qu’on cite les chercheurs ayant déjà publié sur un sujet et qu’on explique ce qu’on apporte de neuf… sans laisser entendre qu’on a ‘tout’ fait soi-même », ajoute-t-il. Non, répond Renaud Meltz, « nous n’omettons pas de citer Jean-Marc Regnault, qui l’est 6 fois dans l’ouvrage, parfois pour appuyer ses travaux sur la vie politique locale, parfois pour prendre nos distances avec ses conclusions. »

Jean-Marc Regnault dénonce aussi des attaques à l’encontre de ses recherches, notamment sur le rôle de l’aéroport de Tahiti-Faa’a, construit en 1959. « J’avais écrit que la construction de l’aéroport répondait essentiellement à la préparation du CEP en me fondant sur le rapport du général Ailleret » début 1957, rappelle-t-il. « Or, Renaud Meltz intitule un paragraphe ‘Un aéroport pour le tourisme, pas pour la bombe’. Les archives du ministère des Affaires étrangères (…) indiquent clairement que ‘l’aéroport aurait un rôle relativement réduit au point de vue des transports aériens’  et que ‘le tourisme restera limité’ », poursuit Jean-Marc Regnault. « Son chapitre aseptise l’histoire du CEP. L’aéroport a été construit pour les beaux yeux des Tahitiens et Pouvana’a n’a été arrêté que pour se débarrasser d’un incendiaire. Les Polynésiens apprécieront ! »  Renaud Meltz dément, là aussi, expliquant que « la décision de créer un aéroport international à Tahiti, discuté puis arrêté à l’hiver 1956 et au printemps 1957 n’est pas corrélée à un choix d’implanter un centre d’essais en Polynésie, lequel est écarté à cette date. »

Avec Outremers360°

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