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Affaire Sarah Nui : la justice frappe un grand coup

Ce jeudi c’était au tour des avocats de plaider. Tous ont tenté de minimiser les faits reprochés à leurs clients. Mais le délibéré a été rendu, et hormis certains qui ont vu leur peine allégée par rapport aux réquisitions, la plupart les ont vu confirmées. La peine la plus lourde a été infligée à Francis Tarano, considéré comme la pièce maîtresse du trafic. Il a écopé de 7 ans de prison ferme.

La petite salle du tribunal de Papeete était comble ce matin, entre les avocats, les quatorze prévenus, leurs proches et les journalistes. Au programme du jour, les envolées plus ou moins lyriques et inspirées des avocats pour tenter de minimiser les faits reprochés à leur client et amadouer la Cour.

Léon Teihotaata

Le premier à ouvrir le bal était Me Huguet qui défendait Léon Teihotaata, qualifié de petit revendeur, mais contre lequel était requis 2 ans de prison dont un an avec sursis. Pour Me Huguet, le trafic de son client lui permettait juste de consommer gratuitement :« Il a un train de vie modeste, pas celui d’un trafiquant et aucune somme en espèces n’a été retrouvée à son domicile. Il n’a jamais importé d’ice, et c’est à cause de sa consommation d’ice qu’il s’est retrouvé mêlé à ce trafic. » Ainsi, il estime que la peine requise et une mise à l’épreuve sont adaptées. Il a été condamné à deux ans de prison dont 6 mois avec sursis, avec mise à l’épreuve et obligation de soins, la peine étant aménageable.

Mauarii Alves

Le procureur avait requis 2 ans dont six mois avec sursis. Me Rebeyrol précise que son client « n’a jamais varié dans ses déclarations, c’est un simple revendeur qui vendait pour se fournir sa dose ». Estimant que son arrestation lui avait servi de leçon, et « qu’il regrettait sa participation à la propagation de ce fléau », elle indique que la peine requise lui semble adaptée et demande à la cour de ne pas aller au-delà. le tribunal a suivi les réquisitions du procureur, y ajoutant une mise à l’épreuve et l’obligation de soins, la peine étant là aussi aménageable.

Fetia Ogier

Pour Fetia Ogier, contre lequel était requis 2 ans de prison, son avocat Me Hellec a estimé qu’il a été victime d’une relation toxique, rappelant que c’est son ex-concubine, Turaina Guy, elle aussi prévenue, qui l’avait entraîné. Il explique que son client, enfant fa’a’amu,  s’était lancé dans la revente (130 grammes d’ice)  pour pouvoir rendre visite à son père biologique en France, un père atteint d’un cancer et qu’il a connu il y a seulement trois ans. « Le casier de mon client est vierge, je vous demande d’assortir sa peine d’un sursis avec mise à l’épreuve. » Ce qu’a fait le tribunal, ajoutant à cette peine aménageable une mise à l’épreuve et l’obligation de soins.

Daniel Rey

Pour Daniel Rey, contre lequel était requis 4 ans de prison avec mandat de dépôt et 90 millions d’amende douanière, son avocate Me Chouini a axé sa plaidoirie autour de la personnalité de son client. « C’est quelqu’un qui a du mal à s’exprimer et à comprendre les questions. S’il avait été expertisé, on se serait rendu compte que c’est quelqu’un d’influençable, voire simple. » Pour elle, son seul ami, c’est Osman Tuihani et s’il a vendu pour lui, « c’est parce qu’il se sentait reconnu dans ce trafic. » Elle a estimé « qu’une peine avec sursis serait plus adaptée à son rôle.».Sans succès. Il a été condamné à 4 ans de prison avec mandat de dépôt.

Bruno Tupuai

Pour Bruno Tupuai, contre lequel était requis 4 ans de prison, Me Lavoye a estimé que son client, « n’a jamais varié dans ses déclarations. Il est là pour assumer ses actes. En prison, il a eu le temps de prendre du recul et de réfléchir sur les conséquences de l’ice sur la société, et sur sa vie. À sa sortie de prison il a l’intention d’être suivi. C’est pour cela que je vous demanderais d’être clément. » Peine perdue : il a été condamné à 4 ans de prison et maintenu en détention.

Jérome Picard

Pour Jérôme Picard, contre lequel était requis 5 ans de prison avec mandat de dépôt, son avocate Me Bezzouh-Mauconduit a nié que son client était un intime de Tamatoa Alfonsi. « Il va balancer de lui-même Alfonsi, sans que l’on lui demande. Ce n’est pas une attitude de camarade. Il a eu peur d’Alfonsi qui s’est brûlé les ailes et a basculé de l’autre coté !» Revenant sur l’attitude de son client à la barre, elle assure « qu’il n’était pas décontracté… Il est accro ! S’il est là aujourd’hui c’est qu’il a parlé, il a avoué. » Ainsi elle a réclamé une peine assortie d’un sursis et d’une mise à l’épreuve. Mais il a été condamné à 4 ans de prison et mandat de dépôt.

Jacob Tutavae

Pour Jacob Tutavae, l’instituteur, contre lequel était requis cinq ans de prison avec mandat de dépôt, son avocat Me Jourdainne s’est fait remarquer en citant Victor Hugo. « Quand on ouvre une école, on évite d’ouvrir une prison ». Pour lui, « Mon client a fait l’inverse. Son entrée dans le trafic ce sont les 9 millions de Tarano qu’il s’est fait dérober. Sa place dans le trafic est claire. Seules deux personnes le connaissent. Tarano et Tupuai. Il fait la connexion entre les deux. Ce n’est pas un revendeur. » Il dresse un portrait flatteur du « barman de Bora Bora qui passe le concours pour être instituteur et qui le réussit ». Rappelant aussi qu’il est à l’origine du développement du futsal à Tahiti, il estime qu’il s’est beaucoup investi pour les autres. Pour Me Jourdainne, son client « a déjà beaucoup perdu, statut social, emploi, vie de famille. » et il demande une peine assortie d’un sursis. Jacob Tutavae a été condamné à 3 ans de prison et mandat de dépôt.

Turaina Guy et Osman Tuihani

Pour Turaina Guy, absente ce matin et contre laquelle était requis 3 ans avec mandat de dépôt, et pour Osman Tuihani qui risquait 5 ans de prison avec mandat de dépôt, leur avocat Me Rousseau-Wiart a joué sur la mauvaise répartition des richesses. « En Polynésie, comme ailleurs, c’est une infime partie des gens qui capte les richesses. Ils voient des yachts  et des jets privés arriver et ils doivent s’estimer heureux de gagner 120 000 Fcfp par mois. La tentation est forte. On leur pose souvent la question, combien gagnez-vous par mois ? Mais c’est par jour qu’il faut leur demander ! Ils font des petits boulots ». Pour l’avocat, Turaina Guy est artisane et ses revenus fluctuent, « elle est âgée de 32 ans et essaie de s’en sortir tant bien que mal. ». Quant à Osman Tuihani, « il reconnait les faits, et la somme que cela lui a rapporté, 9 millions. 5 ans sont requis contre lui, mais il n’a pas de casier et il travaille comme électricien ». Me Rousseau-Wiart n’a rien réclamé, laissant à la cour le soin de juger. Turaina Guy a été condamnée à 3 ans de prison et un mandat d’arrêt a été lancé contre elle, n’étant pas présente lors du délibéré. Quant à Osman Tuihani, il a été condamné à 5 ans de prison et mandat de dépôt.

Mélanie Pan Si-Iotua

Pour Mélanie Pan Si-Iotua dite « Patrona », contre laquelle était requis 5 ans avec mandat de dépôt, son avocate Me Rebeyrol a estimé que l’on grossissait sa participation dans le trafic. « Elle a assumé être une intermédiaire et c’est une simple revendeuse. Elle n’a jamais été à la tête d’un réseau de revendeurs. Les gens viennent se fournir chez elle et revendent à leur compte. Elle fournit juste de l’ice. À l’époque des faits elle n’avait que deux idées en tête. Sa dose et l’argent facile. » Estimant que sa cliente a changé d’état d’esprit et que désormais, « elle veut se battre et a un projet professionnel de location de vélos électriques à Rimatara. » Pour elle, les réquisitions sont énormes et demande une peine avec sursis et mise à l’épreuve. Mélanie Pan Si-Iotua a été condamnée, comme l’avais requis le procureur, à 5 ans de prison et mandat de dépôt.

Francis Tarano et Tane Hopu

Francis Tarano contre lequel était requis 8 ans de prison avec une amende douanière de 300 millions, et Tane Hopu, cinq ans avec mandat de dépôt et saisie de tous ses biens immobiliers, étaient tous deux défendus par Me Bennouar. L’avocat a regretté tout d’abord qu’il y ait eu une disjonction du dossier empêchant d’en avoir une vue d’ensemble, cela étant préjudiciable à la défense. Il a comparé les peines infligées à des dossiers antérieurs qui ont défrayé la chronique, Kikilove, Marlier et les époux Dubaquier, et estimé que l’affaire Sarah Nui était loin d’atteindre une telle ampleur. Ainsi il a trouvé les peines requises démesurées par rapport aux faits.  « Que la justice passe, mais une justice au sens noble. »

Ainsi pour Hopu Tane, il estime que « si vous connaissez Alfonsi qui trempe dans des trafics, cela ne veut pas dire que vous trempez dedans, et que des voyages à Tijuana ne suffisent pas à vous mettre dedans. » Pour lui Tarano et Tane ne sont pas « monsieur et madame Dubaquier ». Il demande donc à la cour de revoir le quantum des peines requises. Francis Tarano a été condamné à 7 ans de prison et maintien en détention, et Tane Hopu à 4 ans de prison et mandat de dépôt.

Thomas Buchin

Pour Thomas Buchin, contre qui était requis  5 ans avec mandat de dépôt, son avocat Me Fromaigeat a estimé que l’on exagérait le coté violent de son client. « Sur les violences, on n’est pas à Marseille ni au Mexique. Ici on est plus chez les Bisounours. » Pour lui son client n’était pas un armurier  et les armes servaient plutôt à la dissuasion. Quant à la violence physique, « mon client a aucun moment ne l’a utilisée. Buchin était juste un homme à tout faire pour William Oti. Il livrait les stupéfiants, goûtait, mais il n’a jamais été propriétaire d’ice, ni n’en a revendu. » L’avocat avoue ne pas comprendre la peine requise et le mandat de dépôt et demande à ce que le quantum de la peine soit plus faible. « Que ce soit une peine éducative, dissuasive et qui ne mette pas en péril sa réinsertion. » Il a quand même été condamné à 5 ans de prison et mandat de dépôt.

William Oti

William Oti contre qui était requis 6 ans de prison ferme, était défendu par Me Dumas. Celui-ci a joué sur l’immaturité de son client. « Il est né dans la précarité dans une famille de 10 enfants dans un quartier social de Titioro. Il a commencé par cultiver du paka puis c’est l’engrenage avec l’ice. » Pour lui Oti n’est pas un boss,  « il achète pour revendre.  Ce n’est pas un homme d’affaires, il n’a jamais calculé les grammes et n’a aucune idée de ce qu’il a acheté ou revendu. » Quant aux histoires de violences, « ils ont été influencés par de mauvaises séries US et il a fait preuve d’une grande immaturité. C’est un jeune homme qui a pris un mauvais chemin.» L’avocat demande donc une peine revue à la baisse avec un sursis, une demande que la cour n’entendra pas. Il a été condamné à 6 ans de prison et maintien en détention.

Comme on le constate la justice a marqué le coup et lancé un message à l’adresse de ceux qui œuvrent dans le trafic ou qui seraient tenté de s’y lancer. Elle a pris en compte, comme l’indiquait le juge Bonifassi, « la gravité de cette affaire, l’ice, les armes, la violence et les réseaux d’intermédiaires et de revendeurs. » Outre les peines de prison infligées, il y aussi des amendes douanières qui se chiffrent à plusieurs millions, la confiscation de tous les scellés, à savoir les sommes d’argent saisies lors des perquisitions ou de véhicules, mais aussi des biens acquis par l’argent de la drogue. Certains ont vu leurs terrains et biens immobiliers saisis.

Le prochain volet de cette affaire, concernant les importateurs, devrait passer devant le tribunal en février, l’instruction suivant son cours. Pour celle-ci on s’attend à plus d’une vingtaine de prévenus, et d’un autre acabit que ceux jugés ces trois derniers jours.

 

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