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Immobilier : « La nouvelle loi ne règle pas le problème, elle va même l’aggraver »

Jean-Philippe Pinna, de l’étude Clémencet/Pinna, président de la chambre des notaires de Polynésie Française. ©C.R.

Un texte « politique », qui pourrait être désastreux dans la pratique. C’est l’analyse du président de la chambre des notaires de Polynésie sur la loi du Pays votée mardi, qui augmente de 1000% les frais d’achat pour les résidents de moins de dix ans. Pour Me Jean-Philippe Pinna le gouvernement a choisi de « stigmatiser » et de faire grimper les prix des logements neufs. Plutôt que de s’attaquer au fond du problème d’accès à la propriété : alléger les contraintes administratives, aider les familles modestes, et régler les indivisions.

À lire : Les frais d’achat multipliés par dix pour les résidents de moins de 10 ans

« Étonnés » au mieux, « effarés » pour beaucoup, « choqués » pour certains… Jamais consultés, voire même pas tenus informés des plans du gouvernement, les professionnels de l’immobilier ont eu « la mauvaise surprise » de découvrir, mardi, la loi du Pays sur la fiscalité de l’immobilier. Une loi visant à « défendre le patrimoine foncier » du fenua contre la spéculation des « non-résidents ». Et qui prévoit une majoration de 1000% des droits de vente pour les acquéreurs qui ne justifient pas de dix ans de résidence. De quoi faire baisser la tension sur les prix des maisons, appartements et terrains ? C’est le discours du gouvernement, même si Tearii Alpha, en charge du dossier, a précisé qu’il ne s’agissait là que d’une « réponse d’étape ». Mais pour Me Jean-Philippe Pinna, la loi « ne règle pas le problème et va même l’aggraver ».

Pas de raison de « stigmatiser une partie de la population »

Car pour le président de la chambre des notaires de Polynésie, le problème du foncier et du logement à Tahiti n’a rien à voir avec les achats de non-résidents ou de personnes installées au fenua récemment. « Cette clientèle-là est assez marginale dans le marché immobilier, on n’a pas du tout constaté d’afflux massif de métropolitains, de Calédoniens ou d’Américains », détaille-t-il. Oui, l’immobilier a augmenté ces dernières années, « mais on ne constate pas de distorsion à cause d’acquéreurs ou de propriétaires non-résidents ». Le texte, note le professionnel, n’avance d’ailleurs aucune donnée, et aucun chiffre qui justifie de « stigmatiser une partie de la population ».

La spéculation ? Elle existe, comme partout ailleurs, précise le notaire. Certains professionnels pointent que « les spéculateurs, s’il y en a, sont avant tout des locaux ». Me Pinna explique lui que contrairement à la Nouvelle-Zélande ou l’Australie, où des vagues d’investissements asiatiques ont complètement « ébranlé le marché » – ces deux pays ont depuis adopté des mesures de limitation des investissements étrangers – elle ne serait pas un phénomène majeur en Polynésie. La montée des prix de l’immobilier polynésien serait davantage due à la rareté des biens en vente, surtout à Tahiti. Le Schéma d’aménagement général de la Polynésie (Sage) adopté par l’assemblée voilà deux ans, chiffrait d’ailleurs à plus de 14 000 le nombre de logements salubres manquant sur l’île. Et le Pays aurait, pour le spécialiste, sa part de responsabilité dans cette situation. Mais plutôt que de traiter le problème de fond, le gouvernement aurait choisi de répondre au ressentiment qu’il engendre.

Jouer sur le ressentiment plutôt que de résoudre les « problèmes de fond »

Lenteur des procédures d’instruction de permis de construire ou de lotir, immobilité du domaine public, du côté du Pays comme des communes, mais surtout disparition des mesures d’aides qui permettaient aux classes modestes et moyennes d’accéder à la propriété… « Depuis 2013,  toutes les mesures qui permettaient d’avoir du logement intermédiaire, social ou à loyer modéré ont été supprimées, appuie le président de la chambre des notaires. Ça veut dire que mécaniquement depuis 9 ans, il est devenu impossible pour des personnes dont le foyer représente moins de 4 Smig d’acheter en Polynésie ». Pour le professionnel, « les outils sont là » mais ne sont pas tous actionnés par les autorités. Notamment ce qui concerne les procédures de sortie ou de gestion des indivisions, qui ont pourtant fait l’objet de plusieurs réformes ces dernières années. « Il faut absolument que le Pays les accélère pour que les familles puissent enfin construire sur leur terrain et habiter sur leurs terrains familiaux » appuie le spécialiste.

Un texte « politique » qui « va faire augmenter les prix » des logements neufs

Le texte est, comme toutes les lois fiscales, immédiatement applicable à sa publication. Mais pour Jean-Philippe Pinna, il pourrait être annulé rapidement par le Conseil d’État. À l’entendre , le gouvernement « sait » que son texte « contrevient à plusieurs principes généraux du droit », à commencer par l’égalité devant les charges publiques et la proportionnalité des mesures fiscales. Un recours, non suspensif, pourrait donc d’après lui aboutir à son annulation. « Et il y en aura forcément » précise le professionnel. « Comme ils [en l’occurrence Tearii Alpha, ministre de l’Agriculture et du Foncier, ndr] l’ont expliqué à l’assemblée, c’est un texte qui a un message politique… » reprend-il. La « période électorale » aurait joué ? « Je ne suis pas juge de ça, mais ce qui est très gênant, c’est que c’est un très mauvais message pour la sécurité immobilière en Polynésie ».

Principale crainte des notaires : que ces changements de règlementation abrupts n’effraient au long terme les investisseurs, et fasse capoter des projets porteurs d’emplois ou créateurs de logements. Certes le texte prévoit des exceptions pour les projets d’intérêt public de plus de 5 milliards de francs. Mais, même pour ces « grands projets économiques, industriels ou touristiques », il instaure des conditions supplémentaires – 30 ans sans vente ou sans changement de destination – qui pourraient « décourager » les promoteurs.

Quant aux plus petits projets, s’ils sont menés par des sociétés contrôlées en partie par des non-résidents, c’est toute leur économie qui devrait être bouleversée. « Les promoteurs vont devoir répercuter le surcoût fiscal sur le prix de vente des logements, pointe le président de la chambre des notaires. Les projets vont être tellement chers qu’il n’y aura plus d’acquéreurs et que les projets vont tous tomber à l’eau les uns après les autres ».

Le ministre en charge du dossier, Tearii Alpha, avait refusé les interviews en fin de séance, mardi. Il devrait finalement s’exprimer lundi prochain sur le sujet, et plus globalement sur les efforts de « protection du foncier ».

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