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L’instituteur sadique fait appel de sa condamnation

Massimo Raveino, l’instituteur de l’école Vaiaha à Faa’a qui avait été condamné en septembre dernier, pour escroquerie et pour violences aggravée sur mineurs par une personne ayant autorité, faisait appel de sa condamnation ce jeudi. Une initiative qui risque de lui coûter plus cher qu’en première instance : alors qu’il avait écopé de 4 ans dont 2 avec sursis, cette fois l’avocate générale a requis 4 ans dont seulement 1 an avec sursis. Et six mois avec sursis à l’encontre de l’ancien directeur de l’école, qui avait tardé à agir.

Rappel des faits

En février 2019, un élève de CM1 de l’école Vaiaha de Faa’a rentre chez lui avec les oreilles « violettes » et en sang. Il raconte à sa mère que l’instituteur, Massimo Raveino, lui a tiré les oreilles pour avoir mal répondu à une question de maths, puis incité les autres élèves à faire de même. Après avoir fait examiner l’enfant par un médecin qui délivre une ITT de deux jours, la mère confronte le directeur de l’établissement, Félix Yau.

Les enquêteurs interrogeront les condisciples de l’enfant, et découvriront que Massimo Raveino inflige brimades et humiliations physiques et psychologiques à ses élèves : il leur tire les oreilles, oblige les élèves à faire de même sur leurs camarades, les fait s’agenouiller de longs moments, leur crache et leur pète au visage, les oblige à défiler « comme des miss », leur fait des « massages thaïlandais » qui leur blessent les épaules, les encourage à se battre entre eux, les affuble de surnoms humiliants – « la suceuse », « le mahu », « miss idiote », « la Parisienne », « fatty boule », « le handicapé ». Il revend également aux élèves des cahiers et stylos de la dotation de l’établissement, qui sont normalement gratuits. Il a aussi coutume de donner « un cent francs » aux élèves punis pour qu’ils ne disent rien. Quand l’affaire éclate elle réveille les souvenirs d’anciens élèves, et le témoignage sur Facebook d’une jeune femme aujourd’hui dans la trentaine suscite 600 autres « me too ».

Jugé en septembre 2020, Massimo Raveino avait été condamné pour violences aggravées sur 21 mineurs et escroquerie à 4 ans de prison dont deux avec sursis, avec interdiction de travailler dans le service public et privation des droits civiques, puis immédiatement incarcéré. Le directeur de l’école, Félix Yau, avait été condamné pour non-dénonciation à quatre mois de prison avec sursis. Les deux hommes, qui ont fait valoir leur droit à la retraite, ont fait appel de leurs condamnations.

Un enseignant à problèmes

« J’ai beaucoup perdu de ma dignité et de mon honneur », dit l’ancien directeur d’école qui a bien dénoncé les faits menant au procès, mais nie avoir eu connaissance des lourds antécédents du professeur. Pourtant le dossier de Massimo Raveino parle pour lui. Le premier signalement pour mauvais traitements remonte à 1993, suivi d’un autre en 2003, lui valant des avertissements de son administration qui lui précise qu’il risque des sanctions pénales. En 2006 il est condamné à 12 mois avec sursis pour atteintes sexuelles sur la fille mineure de sa compagne – des faits qui, souligne la juge, seraient aujourd’hui qualifiés de viol. La jeune fille a quitté le domicile familial, « et vous êtes resté enseignant, c’est merveilleux, » complète la juge. En 2013 il est affecté à Vaiaha, et une directrice d’école prévient Félix Yau : « C’est pas un cadeau ». À la Fédération tahitienne de football, où il est responsable du département arbitrage, Raveino se montre violent envers un jeune joueur jugé trop efféminé.

« Tombé dans le piège » des enfants, dit Raveino

Après avoir retracé son parcours – issu d’une famille nombreuse à Huahine, ex étudiant en droit avant d’être appelé sous les drapeaux et d’échapper à l’attentat contre la résidence de l’ambassadeur français à Beyrouth, major de l’École normale de Tahiti, cadre formateur pour la Fifa dans le Pacifique – l’accusé  de 61 ans explique qu’il a mis au point « avec les élèves » un règlement intérieur de la classe et un « conseil de classe » hebdomadaire pour prononcer des sanctions. « Ça vous parait normal ? demande la juge. Ils étaient d’accord ? Ils ont 9 ans ! » « Mais ça fonctionnait », répond Raveino. « Tellement bien que vous vous retrouvez devant la cour. »

Directeur et professeur laissent entendre pour leur défense que les enfants scolarisés à Vaiaha sont parfois difficiles, issus de milieux défavorisés et violents. Durant toute l’audience, Raveino rendra les enfants responsables des mauvais traitements qu’il est accusé de leur avoir infligé. « La plupart des faits, ce sont des élèves qui se tapaient entre eux. C’est les élèves qui crachaient, je l’ai fait une fois pour leur dire de ne pas le faire. Je suis tombé dans leur piège. » « Je suis sidérée, dit la juge. Rappelez-nous quel âge vous avez ? Et vous êtes en train de nous dire que des gosses de 9 ans vous ont tendu un piège ? » Raveino assure qu’au « conseil de classe » de décembre 2018, il a demandé aux élèves s’ils voulaient changer d’enseignant. « On travaillait la démocratie participative. À 90% ils ont levé la main pour dire non. » « Un référendum africain… » soupire la juge, qui se dit « étonnée de cette façon de fuir vos responsabilités. Depuis quand ça marche comme ça à l’Éducation nationale ? Ils ont 9 ans, quand est-ce que vous allez vous mettre ça dans la tête ? » Quant aux faits plus anciens, Raveino n’a qu’une réponse « Je ne me souviens pas. »

« Pas de preuves suffisantes », dit l’ancien directeur de l’école

Félix Yau, lui, soutient « je n’avais pas de preuves suffisantes » sur les agissements du professeur, malgré les signalements des taties de l’école qui ont fini par menacer de faire le signalement elles-mêmes. « Il y a juste deux ou trois parents qui sont venus me voir. » « Deux ou trois, ça ne suffit pas ? Vous attendiez de voir un certificat médical ? Il fallait qu’il cogne un peu plus fort pour que vous vous décidiez à faire quelque chose ? » demande la juge. « J’ai découvert en même temps que l’inspecteur menait son enquête, dit Félix Yau. Quand j’allais voir les enfants il n’y avait pas de bleus sur eux. »

Un rapport psychologique édifiant

Au cours de l’enquête Massimo Raveino verra un psychologue. Qui écrit que l’accusé est « dans le déni », n’a « aucune empathie », « banalise les faits », « se met sur le même registre que les enfants ». Il diagnostique des « troubles de la personnalité narcissiques, étroitement liés à l’égocentrisme. »

Plusieurs de ses anciens élèves et leurs parents se sont exprimés à la barre. « C’est pas nous qui commandait, c’était lui », dit un petit garçon visiblement éberlué par ce qu’il avait entendu. Les mamans, elles, se reprochent de n’avoir pas été assez attentives, d’avoir fait confiance à l’institution et mis les incidents parfois relatés par les enfants sur le compte d’une saine sévérité face à la turbulence. « Il ne devrait pas s’approcher des enfants, ce sont de petits enfants », dit celle qui a porté plainte la première. Une autre maman explique comment sa fille s’est renfermée sur elle-même et « montré la méchanceté dont elle avait été victime ». « Je n’arrive plus à parler à mon fils, ce n’est plus le même, dit encore une autre mère. Ce qu’on a fait à nos enfants c’est impardonnable. »

« Tout le monde le savait, rien n’a été fait », pour les parties civiles

Les avocates des parties civiles ont souligné les conséquences à long terme pour les enfants et leurs familles de cette « banalisation de la violence ». « On se demande comment il a pu passer à travers les mailles du filet. Il a érigé la violence en méthode éducative. » Aussi dérangeante est la minimisation des faits par le directeur, disent-elles. « Tout le monde le savait, rien n’a été fait. »

Absente du premier procès dont elle n’avait pas été informée, dit sa représentante, la Polynésie française s’est également jointe aux parties civiles. La Polynésie estime que les deux hommes ont « jeté le discrédit sur la fonction publique » et demande 500 000 Fcfp au titre du préjudice moral, et la même somme au titre du préjudice d’image.

« Mais zut, quoi ! »

Quand vient le tour de l’avocate générale, elle regrette « qu’il n’y ait pas eu d’évolution de l’un et de l’autre » et se dit « rassurée qu’ils soient l’un et l’autre à la retraite ».  Félix Yau, dit-elle, « pense qu’il ne devrait pas être condamné parce qu’il a dénoncé des faits. Il n’a toujours pas compris que c’est la non révélation des faits précédents qui l’ont conduit ici. Mais zut, quoi ! On a déjà eu un procès en première instance, c’était clair ! » Malgré la réputation de Raveino, les plaintes des taties, et les parents de 5 élèves qui sont venus le voir, il a « couvert » les faits, empêchant les parents de voir directement le professeur et les assurant qu’il allait « gérer ». « M. Yau, il a eu peur, de quoi je ne sais pas… Les parents se sont retrouvés complètement démunis par la faute du directeur. Il a failli gravement, il n’a pas protégé ces enfants alors que c’était son devoir, » lâche l’avocate générale, qui demande 6 mois avec sursis. L’avocat de Félix Yau rejette la faute sur les manquements de l’institution éducative (« Beaucoup d’autres ont failli dans ce dossier »), et assure que son client « n’a pas voulu couvrir M. Raveino » tout en reconnaissant qu’il a été « dépassé » et « n’a rien géré ». Les derniers mots de Félix Yau devant la cour : « C’est vrai que c’est pas facile d’être directeur d’établissement ».

Concernant Massimo Raveino, elle est la première à prononcer le mot « sadisme ». « Il avait parfaitement conscience du problème puisqu’il filait des pièces de 100 Francs et sanctionnait ceux qui se plaignaient ». Elle demande à la cour une prise en compte de l’ensemble de son œuvre, et réclame à son encontre 4 ans de prison, mais cette fois avec seulement un an de sursis, suivis d’un sursis probatoire de deux ans. Ainsi qu’une obligation de soins, d’indemnisation des victimes, l’interdiction définitive de toute activité en rapport avec des mineurs, la privation de ses droits civils, civiques et de famille pendant 5 ans, et son maintien en détention. Le défenseur de Massimo Raveino, lui, a souligné l’enfance à la dure de son client, ses traumatismes liés à son passage dans l’armée. Pour lui, c’était simplement « l’année scolaire de trop » mais « ce n’est pas un être pervers ».

Le délibéré sera rendu le 4 février prochain.

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