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Pêche illégale : entre rumeurs et réalité  

Le 21 mars dernier, le navire de pêche chinois Shen Gang Shun 1 s’est échoué sur le récif de l’atoll d’Arutua. Dans les cales du navire, les responsables sur place ont pu constater, comme en témoignent les photos publiées sur les réseaux sociaux, la présence d’espèces pélagiques telles que du thon ou encore des requins. Bien qu’il n’existe à ce jour aucune preuve que ces espèces aient été pêchées dans les eaux polynésiennes, le malheureux événement a permis de rouvrir le débat sur la pêche illégale en Polynésie. Nous avons voulu suivre plus précisément l’itinéraire et les activités supposées du Shen Gang Shen 1 lors de son passage dans les eaux territoriales.

C’est dans un communiqué publié jeudi dernier que le Haut-commissariat s’est empressé d’expliquer en quoi “les moyens aériens, maritimes et satellitaires déployés, par l’État, garantissent qu’aucun navire étranger ne pêche dans les eaux polynésiennes”.

Si ces affirmations en ont rassuré certains, d’autres restent sceptiques face à “une vague réponse manquant d’informations fondées”. Les associations environnementales Ma’o Mana, l’Observatoire des Requins de Polynésie, et Te Ora Naho – FAPE ont donc demandé, dans une lettre ouverte, à éclaircir certaines zones d’ombre concernant cette polémique.

En effet, la pêche illégale est un phénomène mondial et ceux qui la pratiquent disposent de nombreuses techniques pour passer outre le radar des autorités, si compétentes soient-elles. C’est ce que confirment de nombreuses organisations internationales telles que la FAO ou WWF.

Dans son communiqué, le Haut-commissariat explique, par exemple, que les données VMS, obligatoirement transmises par les bateaux de pêche circulant dans les eaux polynésiennes, permettent de détecter leur vitesse de navigation. En toute logique, un navire en transit naviguerait donc plus vite qu’un navire en plein effort de pêche.

L’itinéraire du Shen Gang Shen

Le groupement d’associations environnementales locales remarque, cependant, que le Shen Gang Shun 1 était précédé d’un autre bateau chinois, le Pingtairong 55. Ce dernier aurait pu poser les lignes en avance afin que le Shen Gang Shun 1 puisse pêcher aux Tuamotu sans se faire remarquer. Taurama Sun, pêcheur professionnel et membre de l’association, soupçonne qu’il s’agisse d’une technique de pêche illégale.

Concernant les photos ci-dessous : en rose, le Shen Gang Shun 1. En jaune, le Pingtairong 55. Les lignes montrent que le navire est en transit, tandis que les points montrent des arrêts. Quand il y a arrêt, la plateforme Global Fishing Watch considère automatiquement qu’il s’agit d’un effort de pêche et l’étiquette ainsi. Mais c’est en fait plus compliqué que ça.

 

Effort de pêche Shen Gang Shun 1. Cette photo zoome sur la carte du 9 au 21 mars, montrant les activités du Shen Gang Shun 1 qui fait d’abord route vers le port du Papeete dans lequel il rentre le 16 mars, jusqu’à sa sortie le 21 mars. On remarque, avant son arrivée, des zigzags et des arrêts. C’est ce type de comportement, constaté chez plusieurs navires étrangers, qui a alerté les associations environnementales locales. Il se pourrait, cependant, qu’il s’agisse de mouvements habituels qui démontreraient, par exemple, que les navires attendent au large de Tahiti avant d’entrer dans le port de Papeete.

Du 12 au 15 mars 2020 (1 à 4) : Cette série de photos montre l’entrée des deux navires dans la ZEE polynésienne. Il apparait que les deux bateaux ne feraient que transiter vers le port de Papeete.

(1) 12 mars 2020 – Itinéraire Shen Gang Shun 1 + Pingtairong 55

 

(2) 13 mars – Itinéraire Shen Gang Shun 1 + Pingtairong 55

 

(3) 14 mars – Itinéraire Shen Gang Shun 1 + Pingtairong 55

 

(4) 14-15 mars – Itinéraire Shen Gang Shun 1 + Pingtairong 55

 

Deuxième série de photos (5 à 7) du 21 au 27 mars 2020: Dans cette série de photo, on remarque que le Shen Gang Shun 1 quitte le port de Papeete et fait naufrage aux Tuamotu le 21 mars. Ce n’est que le lendemain que le Pingtairong 55 rejoint le Shen Gang Shun 1 pour récupérer l’équipage. Les itinéraires des deux navires du 21 au 27 mars montrent le transit des deux navires, l’un s’arrêtant à Arutua à cause du naufrage et l’autre continuant vers la sortie de la ZEE.

21 mars – Naufrage Shen Gang Shun 1

 

22 mars – Le  Pingtairon se dirige sur Arutua

 

21 au 27 mars – Naufrage Shen Gang Shun 1 et sauvetage par le Pingtairong 55

En poussant ses recherches, l’association a d’ailleurs retracé, grâce à la plateforme Global Fishing Watch, les routes empruntées par une trentaine de navires de pêche étrangers en transit dans les eaux polynésiennes le mois dernier. Les trajectoires de douze de ces navires indiquent des allers et retours, des ralentissements, et même des arrêts complets. “Avec ce type de bateau, la technique de pêche est simple: on lâche d’abord les lignes sur plusieurs kilomètres puis, lorsque c’est terminé, on attend 2 à 3 heures à l’arrêt avant de revenir sur nos pas pour récupérer le poisson”, décrit Taurama. Aux dires de la fondation Ma’o Mana, les données recueillies via Global Fishing Watch démontreraient clairement un effort de pêche de la part de ces navires. Rumeurs ou réalité?

Selon Jérôme Petit, directeur de Pew Polynésie, ONG spécialisée en protection marine, les recherches qu’il a menées ces dernières années au sujet de la pêche illégale aboutissent toutes à la même conclusion: “il y a plus de rumeurs sur la pêche illégale qu’il n’y a de pêche illégale en Polynésie. Il y a quelques années, par exemple, les trajectoires en zigzag de certains navires étrangers avaient été pointées du doigt comme preuve d’un effort de pêche dans nos eaux. En questionnant les personnes en charge de la surveillance de notre ZEE, on s’est vite rendu compte que ces navires attendaient simplement une place dans le port de Papeete”.

Une plainte de la FAPE

La fondation Ma’o Mana, l’Observatoire des Requins de Polynésie, et Te Ora Naho – FAPE attendent maintenant une réponse complète aux questions posées dans leur lettre ouverte. Bien que l’État et le Pays devraient être mesure d’apporter des éléments concrets pour apaiser cette polémique, rappelons que ce ne serait pas la première fois qu’une infraction passerait sous le nez des autorités. En effet, la Fédération des Associations de Protection de l’Environnement (FAPE) – Te Ora Naho a déposé une plainte contre le Shen Gang Shun 1, jeudi dernier, pour détention et transport illégal de requins, une espèce protégée dans les eaux polynésiennes. “En vertu de l’article LP 2211-3 du Code de l’environnement de la Polynésie française, le simple transport, la détention ou l’importation d’espèces protégées, vivantes ou mortes, relevant de la catégorie B est interdite, que ces espèces aient été pêchées en Polynésie ou non”, affirme l’avocat en charge de la plainte.

 

(Photos: Ma’o Mana Foundation)

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