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Une histoire de pêche aux gros sous

Titouan Roncin, 30 ans, est l’un des cinq Polynésiens engagés sur ces mondiaux de chasse sous-marine.

S’engager aux championnats du monde de chasse sous-marine, du 7 au 10 septembre en Espagne, représente un budget exorbitant pour les cinq Polynésiens qualifiés. Cagnottes, heures supplémentaires, aides de la famille ou du club, cumul des activités et même emprunts : tous se démènent pour boucler leur budget à temps, animés par le rêve d’y participer.

A combien se chiffre un rêve ? Lorsque celui-ci consiste à plonger pendant deux jours dans les eaux de l’Atlantique à la recherche des meilleures prises, cinq Tahitiens vous répondront qu’il faut près de deux millions pour le réaliser.

Du 7 au 10 septembre, Dell Lamartinière, Maui Tea, Titouan Roncin, Onyx Lebihan et Taina Orth défendront les couleurs du fenua, quelque part au large des côtes de Cantabrie, une région du nord de l’Espagne. Une sélection connue depuis les derniers championnats de Polynésie individuel l’an passé. Depuis cette réussite au harpon, c’est dans une tout autre chasse que sont engagés nos cinq représentants : la chasse aux financements. Car en pêche sous-marine, comme souvent ailleurs, les bourses les plus pleines sont souvent les mieux classées à l’arrivée, le mérite sportif passant au second plan.

 « On ne gagne pas forcément sur le physique », dit le champion de Polynésie, Maui Taea, dont ce sera la première participation aux mondiaux dans l’eau, lui qui fut accompagnateur sur une édition précédente. « A chaque fois que nous pêchons en Atlantique, on fait du bon poisson et de bonnes places au mondial. On se rend compte que ce sont de bonnes conditions pour nous et que nos pêcheurs valent les meilleurs Européens. Mais le plus important, c’est l’appui technique », confirme le président de la Fédération tahitienne des sports subaquatiques de compétition, Rahiti Buchin.

Un mois de repérages : c’est le minimum

Pour espérer performer dans la compétition mondiale, organisée tous les deux ans, il est en effet nécessaire de procéder à de longs et coûteux repérages du site en amont. « Les poissons ont un comportement différent, les fonds ne sont pas les mêmes et cela demande d’autres techniques de pêche avec beaucoup de nage et de petites apnées, c’est très énergivore », justifie Titouan Roncin, lui aussi novice aux mondiaux.

Ce qui demande donc des disponibilités professionnelles. « La durée des repérages dépend de ce qu’on veut obtenir comme résultats. Certaines équipes européennes viennent des mois à l’avance », glisse Dell Lamartinière, qui compte déjà trois mondiaux dans le rétroviseur.

Cette année, quatre des cinq Tahitiens qualifiés ont donc tablé sur un gros mois de préparation sur place, ils s’envolent début août pour l’Espagne. Tous viennent en binôme, avec leur accompagnateur. « Avant, les Tahitiens partaient deux semaines avant, mais ça n’a pas trop payé jusque-là… », raconte Maui Taea.

Alors forcément, au moment d’établir un budget, l’addition est aussi salée que la mer Morte. Outre deux billets d’avion, pour le pêcheur et son accompagnateur, « il faut louer un bateau, après il faut compter l’essence pour repérer de longues zones, mais aussi le matériel comme les combinaisons, les fusils qui seront plus petits que ceux que nous utilisons en Polynésie ou les plombs », liste Titouan Roncin. Ajoutez à cela le ma’a, la voiture de location « et les petits imprévus », et les deux millions sont très vite atteints.

Tous les concurrents ont donc reçu une aide de la Fédération, à hauteur de 500 000 francs, ce qui permet notamment de couvrir les billets d’avion et les frais d’inscription. A titre de comparaison, les Espagnols percevraient dix fois plus. Mais « c’est tout ce que peut porter notre petite fédération », regrette Rahiti Buchin, alors que la FTSSC – qui a déjà mis la main à la poche cette année pour financer les Oceania de Nouvelle-Calédonie – paye aussi le déplacement en Espagne d’un cadre technique.

Des chantiers, un concert et une cagnotte… et de la pression

Alors pour atteindre l’équilibre, à chacun ses techniques dans la sélection tahitienne. Les familles, les clubs et des sponsors sont notamment les bienvenus. Les trois hommes engagés et leurs accompagnateurs ont aussi décidé de mutualiser les coûts du logement sur place.

Dell Lamartinière, lui a perçu 1,2 millions de francs de subvention sur les deux dernières années, puisqu’il figure sur la liste des sportifs de haut niveau. Une exception dans la sélection polynésienne et un apport essentiel pour ce pêcheur professionnel, qui estime à « plus de 300 000 francs » son manque à gagner durant ce mois d’absence.

Sans cette aide du Pays, il aurait été contraint de contracter un crédit à la banque pour s’inscrire, comme lors de ses trois participations précédentes. Et encore, pour être certain de rentrer dans les clous, il s’impose une activité supplémentaire en donnant un coup de main sur des chantiers. « Alors heureusement que je suis classé haut niveau », souffle-t-il.

Lui aussi du métier, et donc privé de revenu pour un mois, Maui Taea explique avoir « économisé et donné des formations avec le club ». Même stratégie pour Onyx Le Bihan et Taina Orth, premières femmes à représenter le fenua aux mondiaux, qui ont proposé des stages. Auxquels il faut ajouter l’organisation d’un concert pour lever les derniers fonds nécessaires, vendredi à Moorea.

Titouan Roncin a lui aussi opté pour l’appel aux dons, avec une cagnotte en ligne, en plus de la vente de t-shirts. Pour celui qui compte bien réaliser « le rêve d’une vie » en septembre, cette « collecte de fonds c’est une pression psychologique ».

Moins de temps pour s’entraîner

Une pression, et une perte de temps qui aurait été bien plus utile à l’entraînement.  « En tant que pêcheur pro, on se demande parfois si on doit s’entraîner ou alors multiplier les ‘’pêches business’’, faciles et rapides » pour multiplier les gains, s’interroge Maui Taea. « Au niveau de la préparation physique, technique et stratégique, c’est très difficile », ajoute Rahiti Buchin. Avec moins de temps à consacrer à la mer, Titouan Roncin se prépare par exemple hors de l’eau, en faisant « un peu de vélo ».

Ce parcours du combattant suscite l’admiration du président, « vraiment content de cette sélection qui se donne les moyens, malgré ces coûts financiers et affectifs, car ils ont tous une vie de famille ».

Mais il a aussi de quoi en effrayer plus d’un. « La prochaine génération risque d’être démoralisée, il y a déjà certains champions ici qui refusent de faire partie des sélections car c’est trop cher », peste Dell Lamartinière. « On me demande pourquoi je fais tout ça, pourquoi j’investis autant pour une compétition ».

A cette question, tous répondent la même chose : la passion du sport et le rêve de se confronter à l’élite mondiale. « Il faut savoir que ce championnat ne rapporte rien, même au gagnant si ce n’est une coupe », abonde le multiple champion local, qui plaide pour « plus de subventions ».

Objectifs top 10

Pour attirer la lumière sur la pratique sportive de la pêche sous-marine, les Tahitiens comptent bien performer, au milieu de soixante-dix concurrents masculins et de trente féminines. Malgré leur préparation tronquée, « ils sont totalement motivés pour représenter notre pays», assure le dirigeant de la Fédé, qui ambitionne le top 5 par équipes, mais aussi de bonnes places en individuel : les trois hommes dans le top 15 et les deux femmes dans le top 10. « Le top 10 me permettrait d’être classé sportif de haut niveau », vise Titouan Roncin. Même souhait pour Dell Lamartinière, qui avait atteint le 19e rang il y a deux ans et le 13e deux saisons plus tôt. De son côté, Mauai Taea est « sur une bonne année », donc « on peut rêver du podium, même si le top 10 c’est déjà viser haut ».

En Espagne, la compétition débutera officiellement le 7 septembre. mais elle sera donc déjà lancée un mois plus tôt pour nos représentants, bien conscients que « la qualité des repérages déterminera le classement final ». La plupart doivent quitter la Polynésie le cinq août.

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Journal de 12h, le 26/07/2023

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