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Radio Tefana : pour la défense, même une simple amende laissera « une trace injuste dans l’histoire »

Me Vincent Dubois n’a pas mâché ses mots vendredi lors de sa plaidoirie dans l’affaire de la radio Te Reo o Tefana. Il considère que « c’est le procès du peuple ma’ohi, c’est le procès où on vous demande de mettre fin à un courant de pensée ». Me Vincent Dubois considère d’ailleurs que « c’est très dangereux de venir dire que demain Radio Tefana ne pourra plus s’exprimer ». Pour lui il n’y a aucun doute, « tous les procureurs (…) ont été désignés à des fins bien particulières ». L’avocat de la défense considère que « l’autodétermination relève de l’intérêt général » et que même une simple amende à l’encontre des prévenus et notamment Oscar Temaru  « laissera une trace injuste dans l’histoire ».

C’est Me Vincent Dubois qui a ouvert les débats pour la défense. Il a commencé sa plaidoirie en déclarant que finalement « ce n’est pas un procès politique, (…) c’est le procès du peuple ma’ohi, c’est le procès du discours que veut tenir le peuple ma’ohi, c’est le procès où on vous demande de mettre fin à un courant de pensée, de mettre fin à la possibilité de dire sur des ondes publiques qu’il y a en Polynésie, un courant de pensée (…) partagé dans de nombreux pays ». Il a repris les propos du procureur Hervé Leroy, qui avait souligné la probité du tavana Oscar Temaru dans ses réquisitions tout en insistant qu’il doit quand même être condamné. « C’est une conception très étonnante de la justice française. C’est peut-être naïf de ma part, mais ce n’est pas la conception que je me fais de la justice ».

« C’est très dangereux de venir dire que demain Radio Tefana (…) ne pourra plus s’exprimer » 

Me Dubois s’est dit très surpris que le procureur demande la fermeture définitive de « toutes les radios libres financées par les communes ». Il a d’ailleurs rappelé les émeutes de 1995  :« Il y a des Polynésiens qui se battent violemment avec les gendarmes, (…) l’aéroport est incendié (…), ça aucun d’entre vous ne l’a vécu, (…) eux l’ont vécu comme une guerre contre l’État. Ils l’ont vécu comme un combat idéologique (…) pour leur droit de s’autodéterminer. L’histoire de la Polynésie est indissociable du combat pour l’indépendance ».

Me Dubois a aussi déclaré que « n’importe quel être humain ne peut pas être contre l’indépendance (…) mais la Polynésie n’est pas prête. La question est de savoir que fait l’État français pour que la Polynésie puisse un jour être prête ? » Il a ensuite posé la question : si Radio Tefana n’émettait plus, qui « évoquera ce courant de pensée d’indépendance ? ».

« On prend le risque d’effacer tous les efforts de paix »           

Me Vincent Dubois considère que ce procès est là pour « nous faire taire, sur une idée qui est importante. On prend le risque d’effacer tous les efforts de paix » faits notamment par le Tavini et le Tahoeraa. Pour la défense, « depuis 2005», avec la mise en place de « ce fameux accord de paix à la polynésienne » la paix est de mise au fenua. L’avocat a précisé d’ailleurs que cet accord avait beaucoup été décrié car considéré comme « un accord politique ». Il a précisé qu’aujourd’hui on a le droit « d’être autonomiste ou indépendantiste sans se taper dessus. On a le droit aujourd’hui de défendre une idée qui est défendue dans le monde sans s’insulter, sans s’en vouloir mutuellement (…) et on vient aujourd’hui vous demander de mettre fin à Radio Tefana ? ».

 « J’ai peur qu’on vienne rallumer des braises qui n’ont pas besoin d’être rallumées » Me Dubois

Dans sa plaidoirie, Me Dubois a déclaré que « depuis 24 heures les idées se bousculent dans ma tête (…). J’ai peur qu’on vienne rallumer des braises qui n’ont pas besoin d’être rallumées », toujours en référence aux émeutes de 1995. Il a souligné que ce combat pour la liberté des peuples existe partout, en Corse, en Yougoslavie, en Israël, en Afrique du Sud, en Nouvelle-Calédonie où Me Dubois a rappelé qu’il y a eu 19 morts.  « 19 morts du côté des terroristes selon le  journal diffusé le 5 mai 1988, 19 morts du côté des ravisseurs si on avance dans le temps, et aujourd’hui 19 morts du côté des kanaks ».

« Tous les procureurs (…) ont été désignés à des fins bien particulières  » Me Dubois

Dans sa plaidoirie Me Dubois a déclaré que les parquetiers devraient avoir des « fiches d’instruction » afin de connaître un minimum l’histoire de la Polynésie. Il a affirmé que c’est « l’histoire qui nous dira si c’est l’État qui veut s’en prendre à cet homme-là (Oscar Temaru, NDLR) pour le faire taire, pour lui nuire », et que « tous les procureurs (…) ont été désignés à des fins bien particulières  ». Il a rappelé que le procureur Jean Bianconi était en liaison avec le gouvernement de Gaston Flosse et de Chirac pour « s’assurer que les indépendantistes n’aient pas la possibilité de parler (…). Le procureur Bianconi n’est autre que celui qui entre dans la grotte d’Ouvéa armé de deux pistolets, pour les donner à ses collègues gendarmes pour ensuite exécuter certains kanaks qui s’étaient déjà rendus (…). Je dois rappeler que dans tous les pays du monde certains sont morts pour faire valoir leurs droits à l’indépendance ? Et que des gens continuent de mourir? Ce procès est extrêmement grave ».

Me Vincent Dubois a rappelé que l’autodétermination des peuples était inscrite dans la charte des Nations-Unies, dans la Constitution française et dans une décision prise par le Conseil Constitutionnel en 1991, qui est au-dessus du code pénal : « la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d’Outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination ». Il a continué sa plaidoirie en affirmant « on voudrait nous faire croire aujourd’hui que défendre l’autodétermination n’est pas d’intérêt général et que ce serait seulement pris dans l’intérêt du Tavini ? Comme si le Tavini avait le monopole de l’indépendance (…) tout le monde a le droit de parler d’indépendance.  C’est d’un intérêt général ».

Même une simple amende « laissera une trace injuste dans l’histoire »

Me Dubois a ensuite longuement développé son argument que dans ce procès, il n’y avait aucune preuve tendant à démontrer que Radio Tefana ait fait du prosélytisme en faveur de l’indépendance et en faveur de la lutte contre les essais nucléaires, deux combats chers à Oscar Temaru. Il a déclaré que si aujourd’hui des enregistrements de Radio Tefana avaient été réalisés « on aurait pris 5 minutes pour ce procès ».

Me Dubois a donc demandé la relaxe pour les trois prévenus car « il n’y a pas d’infraction », et même une simple amende « laissera une trace injuste dans l’histoire, comme d’autres l’ont vécu, et 60 ans après on continue d’en voir les stigmates et les effets. C’est une relaxe pour la paix et une relaxe pour le droit ».    

 

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