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Sarah Nui 2 : Gilles Morat ou la scoumoune incarnée

Pour la deuxième journée du procès Sarah Nui 2, le tribunal s’est intéressé à Gilles Morat, un proche de Tamatoa Alfonsi, qui a trempé dans plusieurs d’affaires d’ice, dont une remontant à 2011 pour laquelle il a été incarcéré durant quatre ans. S’il jouit d’une réputation de dur à cuire, on peut dire que son parcours est jalonné par la scoumoune.

Le nom de Gilles Morat, 41 ans, est apparu dans l’affaire Sarah Nui lors de l’audition de la compagne de Franckie Tumahai qui l’évoque comme étant un client de Tumahai avec qui il travaillait, « Tumahai travaille avec Patrona et Morat, un farani qui deale pour lui. »

Les gendarmes s’intéressent alors à lui et le place sur écoute. Ils apprennent qu’il est chargé par Alfonsi, contre un million de francs, de récupérer une dette de six millions que lui doit Nikis Calmajis, autre prévenu dans cette affaire. Car l’homme, à la tête d’un réseau de revendeurs, a une réputation de dur, même si son apparence ne le démontre pas. Pas très grand, plutôt mince, mais comme la suite de l’audience le montrera, c’est un gars déterminé et prêt à tout pour sauvegarder son business.

Outre des colis d’ice qu’il s’envoie alors qu’il est aux USA,  pour un total d’environ 800 grammes d’ice, dont il ne verra jamais la couleur puisque tous interceptés par la douane néo-zélandaise, il utilisera Christian Boyer, lui aussi prévenu, comme mule avec pour mission de partir avec 10 millions au Mexique et de ramener 1 200 grammes d’ice. C’est Alfonsi qui enverra une voiture avec chauffeur le réceptionner à Los Angeles pour l’emmener à Tijuana puis, une fois l’argent récupéré, lui confiera l’ice. De retour à Tahiti, il recevra 200 grammes en paiement des mains de Morat.

Mais là aussi, Morat va connaître quelques péripéties avec cette cargaison. Faisant savoir dans le milieu qu’il avait de l’ice à revendre, il est contacté par un acheteur qui veut 40 grammes. Le lendemain il se retrouve au lieu convenu, Morat à moto et l’acheteur en voiture. Morat rejoint l’acheteur dans sa voiture avec dans son sac à dos, les 40 grammes d’ice, mais aussi les 960 grammes restants de la livraison de Boyer qu’il devait remettre à Stephen Duriez, un autre prévenu, ainsi que 2,5 millions en liquide.

Morat en mode Wolverine

Le client lui demande s’il a une balance et Morat sort de la voiture, laissant son sac à dos et son casque, pour aller la chercher dans la sacoche de sa moto. À peine Morat sorti de la voiture que le gars démarre en trombe. S’ensuit alors une course poursuite dans laquelle Morat, sans casque sur sa moto, essaie à l’aide d’une matraque de briser la vitre de la voiture et ce faisant il chute une première fois. Arrivé sur le front de mer de Papeete, il arrive à le rattraper. Et là, on atteint des sommets de créativité, puisque c’est à l’aide de ses gants de moto auxquels il avait fixé des lames de couteaux, « qui me permettait de les faire sortir comme des griffes » qu’il brise la vitre arrière du véhicule. Mais comme des passants ont cru à une agression, ils l’ont ceinturé et le temps qu’il leur explique qu’il coursait un voleur, le gars avait disparu.

« Vous étiez en mode Wolverine, lui fait remarquer le juge, pourquoi ? » « J’avais souvent une matraque ou un tazer avec moi. »

Mais l’histoire n’est pas finie pour autant. Morat est du genre qui ne lâche rien et il a une réputation à défendre, celle d’un type « craint et respecté dans le business, avec lui faut être réglo, sinon… » comme le confiera l’un de ses revendeurs. Ayant le n° de téléphone du voleur d’ice, il fait le tour de ses contacts afin de savoir si quelqu’un le connait. Bingo, l’un de ses revendeurs reconnait le numéro et balance le nom de son propriétaire. C’est celui d’une fratrie bien connue dans le milieu, tant par leur implantation dans ce trafic que par la crainte qu’ils inspirent. Les Fatuma.

Descente dans le fief des Fatuma

Bien que ce soit un dur à cuire, Morat est conscient des risques qu’il prend s’il va tout seul récupérer son bien. C’est donc à huit qu’ils débarquent, mais les frères ne sont pas là. Seul leur père est présent. « Il m’a dit de revenir et dans la journée j’ai reçu un coup de fil. On me demandait ce que je voulais. Puis, on m’a dit de venir seul et pas armé. Quant je suis arrivé, deux gars m’ont fouillé, mais ils n’ont pas vu les lames de couteau que j’avais sur mes gants de moto. On a discuté et on m’a rendu 200 grammes d’ice et un million. » Perte sèche pour Morat, 760 grammes d’ice et un million cinq.

Cherchant à se refaire, il décide d’une autre opération. Il envoie un certain Paofai au Mexique avec 14 millions sur lui. Mais là aussi son opération tombe à l’eau. La mule se fait arrêter à l’aéroport de Los Angeles avec 1,2 kg  d’ice. À l’heure actuelle, il goûte aux geôles américaines.

Pour finir, c’est aussi Morat qui devait réceptionner une mule d’Alfonsi avec 640 grammes d’ice. Pareil, il ne récupérera pas la drogue, car la femme se fait arrêter à l’aéroport de Tahiti-Faa’a par les douanes. C’est d’ailleurs elle qui sera à l’origine du démantèlement du réseau mis au point par Alfonsi et Danielson.

« L’ice ce n’est pas la vraie vie. Gagner des millions, ce n’est pas la vraie vie »

Après en avoir fini sur le dossier Morat, le juge s’intéresse à ses sous-fifres. L’un, Stephen Duriez, est un de ses amis proches, gros consommateur de paka, chez qui on a retrouvé lors d’une perquisition 5 millions en liquide, un kilo de cannabis et un gramme d’ice, mais aussi 50 cartouches de 9 mm, le tout appartenant à Morat qui devant prendre l’avion pour aller à Huahine  ne voulait pas voyager avec cette cargaison.

Interrogé par le juge sur les cartouches, Duriez explique : « Je n’ai jamais vu Morat avec une arme à feu. Quand il m’a donné les cartouches, il m’a juste dit qu’il avait fait une affaire. » Sur l’ice, il dit « il a déposé une centaine de grammes avec lesquels j’ai fait quelques transactions, d’où les 5 millions à mon domicile et le reste, environ 120 grammes, je les ai donnés à Tuhiti Jammes, car je ne voulais pas garder ça. »

Puis il explique au juge, « l’ice ce n’est pas mon milieu, je ne suis pas à l’aise avec cela (…) c’est une partie de ma vie sur laquelle je voudrais passer. Je vais assumer mes bêtises et mettre tout cela derrière moi, un moment donné, il faut porter ses responsabilités. L’ice ce n’est pas la vraie vie. Gagner des millions, ce n’est pas la vraie vie. La vraie vie, c’est se lever le matin et aller travailler »

Autre revendeur à être interrogé, Tuhiti Jammes. Il reconnaît avoir vendu pour assurer sa consommation personnelle, environ 50 grammes pour le compte de Morat. Sur les 120 grammes que Duriez lui a donnés, « j’en ai gardé 20 grammes et le reste je les ai donnés à Tamanui Fatuma sur instruction de Morat. » Interrogé à son sujet, Morat dit de lui, « c’était mon vendeur le plus réglo, je n’ai jamais eu d’embrouilles avec lui. »

Au sujet de ses vendeurs, on apprendra avec l’audition d’un des autres revendeurs de Morat, Joseph Hong, que Morat avait commandé par son intermédiaire des test anti-drogue. Le juge étonné interroge alors Morat qui explique : « Quand je recrutais des gars je leur posais la question s’ils prenaient de la drogue. S’ils me disaient non, je les testais et s’ils m’avaient menti cela voulait dire que je ne pouvais pas leur faire confiance et je ne les prenais pas. » Simple mais fallait y penser.

« Je suis une femme amoureuse »

La dernière personne à être auditionnée c’est l’ex-compagne de Morat, Soria Anouilh. Elle se décrit comme « une femme amoureuse qui a voulu le sortir de ce milieu, mais j’ai sombré dedans. » La justice la soupçonne d’être au courant des affaires de son compagnon et de minimiser son rôle dans celles-ci. Si elle reconnaît qu’elle se doutait bien du trafic auquel il se livrait, elle avoue avoir fermé les yeux.

On lui reproche aussi d’avoir eu des conversations avec Alfonsi alors qu’il était au Mexique. « Il était en galère là-bas et il cherchait à joindre Morat. Mais pour moi Alfonsi faisait la fête là-bas, sur les vidéos qu’il envoyait on le voyait entouré de filles etc… » Quant au fait d’être allé chercher à l’aéroport Christian Boyer qui revenait du Mexique avec de l’ice, elle assure que c’était « parce que la copine de Boyer était trop saoule pour conduire ». Si elle l’a ramené à la chambre d’hôtel qu’elle avait réservée « pour passer une nuit avec Morat », c’était parce que « Morat m’avait demandé de le ramener (…) je me doutais là aussi qu’il y avait quelque chose, mais je n’ai rien dit. » Bref, l’amour est aveugle.

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