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Vingt ans après « on n’a pas tiré les leçons » du 11/09, estime Moetai Brotherson

Avant de s’engager en politique, Moetai Brotherson vivait et travaillait à New York. Il a été témoin, le 11 septembre 2001, de l’effondrement des tours du World Trade Center où il avait rendez-vous. Vingt après, cette journée reste pour lui un traumatisme qui l’a poussé à rediriger sa vie, mais aussi le symbole d’un échec collectif à « faire changer les choses ».

Deux tours qui vacillent, et un monde qui s’effondre. Les attentats du 11 septembre 2001, et notamment celui qui a touché le World Trade Center, resteront l’image la plus marquante du début de siècle. Ce samedi, les États-Unis et le monde commémorent les 20 ans de cet évènement historique, qui a eu, directement ou pas, des conséquences tout autour de la planète. Mais l’effondrement des « tours jumelles », c’est aussi, pour des milliers de New-Yorkais et de témoins de cette journée, un évènement très personnel, souvent traumatique. C’est le cas de quelques Polynésiens, comme le député Moetai Brotherson. À l’époque, il n’est pas encore élu, même pas impliqué en politique, mais vit à New York où il occupe un poste important dans une multinationale des médias. Ce 11 septembre, comme tous les matins, il se rend à Manhattan en train, pour un rendez-vous avec la compagnie Siemens… dans la tour B du World Trade Center. Le premier avion s’est écrasé sur la tour voisine juste avant son arrivée. « On sort tous dans la rue, et je vois la première tour en feu, et quasiment à ce moment-là, je vois l’avion qui percute la deuxième tour. C’était le début d’une journée complètement surréaliste, se souvient le député Tavini. Je devais être à hauteur de Madison Square Garden quand la première tour s’écroule ». Autour de lui, des New-Yorkais, qui quelques minutes avant applaudissaient les camions de pompiers qui commençaient à affluer, qui « s’évanouissent », « tombent à genoux », « se mettent à hurler. Ce sont des certitudes sur l’Amérique triomphante, une vision du monde, pleins de choses qui s’effondre en même temps ».

Vingt après, le Polynésien décrit, avec précision, l’incrédulité qui règne alors autour de lui. La sienne, aussi, quand il continue « machinalement » son chemin vers la tour B, toujours debout, pour « aller à son rendez-vous ». « J’arrive toujours pas à l’expliquer, quand quelque chose comme ça arrive, tu ne réfléchis plus vraiment droit ». Il n’est qu’à « environ 300 mètres » du complexe quand la seconde tour de verre et d’acier s’effondre à son tour sur elle-même. Les sensations et images sont toujours vivaces : cette « espèce de vent chaud » expulsé par la tour alors que sa structure interne s’affaisse et qui « brûlait la peau », puis les nuages de cendres et de poussière, qui transforment les passants en « une armée de fantômes recouverts de blanc », « hébétés » par un évènement encore incompréhensible. La panique aussi, qui pousse les foules contre les murs ou dans les stations de métro. Alors que tout le monde cherche à joindre sa famille, les télécommunications coupées, les tunnels et ponts bloqués, Manhattan est coupée du monde et plongée dans le son des sirènes de police et de pompiers.

« Ce n’était plus le New York que j’avais aimé »

Près de 2 800 morts en quelques minutes, plus de 6 000 blessés, sans compter les victimes des vols écrasés sur le Pentagone ou à Shanksville dans la même matinée. La journée est un traumatisme pour beaucoup : « Tout ceux qui l’ont vécu en direct ne peuvent l’oublier, reprend Moetai Brotherson qui devait rejoindre, chez Siemens, un ami et ancien collègue qui fait partie de la longue liste des disparus. Moi je n’en oublie aucune des secondes, je fais encore des cauchemars de temps en temps ». Et pour le futur député comme pour d’autres, le 11 septembre entame un virage de vie. Dès les heures suivantes, au téléphone avec ses parents à Huahine, mais qui avec qui il était monté sur les Twin Towers « quelques semaines avant », ou de retour avec sa famille, la décision se forme : « il était temps de revenir au fenua ». Les jours et semaines qui suivent confirment le sentiment. Soldats déployés dans les rues de la ville, « en état de siège », alertes de sécurité permanentes, paranoïa sur de nouveaux attentats, des colis piégés ou des lettre empoisonnées à l’anthrax, « désir de désigner un coupable », dans la population ou, plus tard, dans des opérations militaires extérieures… « Ce n’était plus le New York que j’avais aimé », explique le Polynésien, qui avait déjà été marqué, l’année précédente, par l’élection de Georges Bush Jr. Moetai Brotherson et sa famille « vendent tout » rapidement et déménageront mi-octobre.

Retour au fenua, donc, et remise en cause de certains choix après les attentats. Après avoir quitté la Polynésie, « à l’époque de Flosse tout-puissant », et quand « aucun changement ne se profilait » et après avoir « perdu espoir dans la société polynésienne », le diplômé en informatique s’était concentré, plus que sur sa famille ou son pays, sur des objectifs de réussite professionnelle et financière. « Je ne pouvais plus rester dans cette logique, explique-t-il, j’avais besoin de rentrer et de me dire ‘comment éviter que ce genre de bêtise humaine s’étende chez nous, comment laisser un monde meilleur à nos enfants ». L’engagement dans la politique n’est alors « pas soupçonné », mais n’est plus très loin.

Vingt après cette « journée qui a tout changé », le bilan est toutefois mitigé. « Sur le plan personnel, j’estime que ça m’a remis sur de bons rails, reprend l’élu. Mais au niveau global, je n’ai pas l’impression qu’on a tiré les leçons de ce qui c’est passé ». Des leçons sur « l’impérialisme », sur « la destruction de la planète au nom de l’argent-roi » ou sur « ces guerres qui sont soit disant menées au nom de la civilisation et de la démocratie et dont on découvre qu’elles sont menées pour des histoires de pipeline, de pétrole et de minerai », appuie l’élu indépendantiste.

Tous les ans, le député allume deux bougies en mémoire des victimes de ce 11 septembre, et s’interdit depuis lors de voyager en avion autour de cette date. Vingt ans après, il rompt la règle ce samedi 11 septembre, et embarque pour le fenua depuis Paris. « Il ne s’agit pas de tourner la page, mais de vivre avec ça », explique le député.

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2 Commentaires

  1. simone Grand
    11 septembre 2021 à 7h37 — Répondre

    Il faut savoir nuance garder. Ces attentats n’ont pas fait disparaître la nation américaine style européenne judéo-chrétienne orgueilleuse. Cette nation a été fondée par les plus grands génocidaires et esclavagistes que l’humanité ait jamais connue.
    Ne l’oublions jamais.
    Quand aux descendants d’esclaves, ce que j’entends de leur discours est une omission volontaire du rôle fondamental des rois africains qui ont capturé et vendu leurs ancêtres aux européens chrétiens et juifs fondateurs de cette nation. Ils revendiquent aujourd’hui leur part du produit des assassinats et de la spoliation des autochtones et de leurs rares descendants survivants. Ils m’en sont devenus bien moins sympathiques.
    Je déplore que la commémoration du 11 septembre ne soit pas un moment choisi pour demander pardon aux rescapés amérindiens dont les ancêtres vécurent des drames monstrueux depuis l’arrivée du May Flower et les hordes de sauvages assassins et spoliateurs à qui le chemin fut ouvert.
    Ces omissions sont regrettables et annoncent des recommencements funestes.
    L’arrivée de Wallis et celle du Duff furent beaucoup plus ravageurs sur l’Océanie que les attentats du 11 septembre sur la puissance américaine.
    Il est essentiel d’apprendre l’Histoire de nos ancêtres d’où qu’ils viennent pour porter un regard plus éclairé et plus vigilant sur nos actes aujourd’hui. Qui sait, nous pourrions participer à éviter d’autres massacres.

  2. girard
    14 septembre 2021 à 22h56 — Répondre

    Bonjour mme GRAND je suis entièrement d’accord avec vous mauruuru roa

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