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Assises : 10 ans de prison pour avoir tué son frère

L’homme qui était jugé depuis jeudi pour avoir tué son frère lors d’une bagarre a été condamné par la cour d’assises à 10 ans de prison ferme.

Ce vendredi, la deuxième et dernière journée du procès aux assises concernant le fratricide a débuté par l’audition en visioconférence d’un expert psychiatre. Selon lui, l’accusé ne souffrait pas de troubles mentaux ni psychotiques, mettant ses errements sur le compte de sa consommation d’alcool et de cannabis. « Le cannabis peut le calmer ou déclencher de la colère, tout dépend des dosages, mais cela ne suffit pas pour justifier l’altération du discernement, absolument pas », assure-t-il à l’adresse de l’avocat de l’accusé, mettant à mal son angle de défense. Celui-ci lui rétorque qu’il y a trois rapports de psychiatres, et que pas un n’a le même avis sur la question. « La psychiatrie est tout sauf une science », lui répond l’expert qui assure que « l’accusé n’est pas un malade mental, mais il a des troubles de la personnalité. »

 « Je ne sais plus, j’en ai peut-être rajouté »

La visioconférence se termine et la présidente de la cour d’assises appelle à la barre la fille de la victime. Alors que celle-ci avait déclaré, lors de sa déposition à la gendarmerie, que Rudy avait tapé son père alors qu’il était au sol à coup de pieds, ce matin elle revient sur ses déclarations, faisant seulement part de coups de poings et non de coups de pieds. La présidente étonnée la questionne : « Pourtant vous avez bien déclaré le lendemain des faits que votre oncle avait donné des coups de pieds à votre père quand il était au sol » « Je ne sais plus, j’en ai peut-être rajouté. » Elle ajoute, « tout ce que l’on souhaite, c’est que mon oncle sorte vite de prison, c’est un accident. Cela fait mal, mais on lui a pardonné. Je ne dis pas de le libérer vite, mais ce qu’il faut. »

« On attend de toi que tu dises la vérité. »

L’avocat de la défense, Me Dubois, intervient : « Je suis embêté par tes déclarations, même si elles sont en faveur de mon client. On attend de toi, les jurés aussi, que tu dises la vérité. Je comprends que tu veuilles réunir ta famille, mais on veut la vérité. » Il s’approche d’elle. « Rudy a-t-il donné des coups quand ton père était au sol ? » « Oui, un coup de pied dans les côtes » « As-tu vu ton père donner un coup de bâton à Rudy ? » « Non. »

« Quand il est tombé, j’ai vu que ses yeux avaient tourné. »

La cour appelle l’accusé à la barre. Il donne sa version des faits. « Il tapait avec son bâton sur la tôle qui bouchait le passage pour aller à ma maison. Je suis sorti pour lui dire d’arrêter, mais il m’a tapé avec son bois, j’ai esquivé, il ne m’a pas touché, puis je lui ai arraché le bâton des mains et je l’ai jeté. Je lui ai donné un coup de poing. Il s’est baissé pour m’attraper par les jambes et après je ne sais plus combien de coups je lui ai donné. Trois, quatre, cinq, je ne sais pas j’étais dans l’action. » Ses expressions de visage sont celles d’un enfant pris en faute. Il poursuit, « j’ai donné des coups sans savoir où ça touchait. Quand il est tombé, j’ai vu que ses yeux avaient tourné. Je me suis agenouillé pour lui dire, ‘frère, qu’est-ce qu’il t’arrive ? et j’ai vu que ça allait mal tourner pour lui. Mais je lui pas donné de coups quand il était au sol. »

« Pourtant un voisin dit que vous lui aviez donné des coups », l’interrompt la présidente. « Pas du tout, pas du tout. »

La famille fait bloc derrière l’accusé

La cour passe alors au visionnage de la reconstitution des faits. Trois reconstitutions photographiques, une selon les déclarations de l’accusé, une d’après le témoignage de la fille de la victime et la troisième selon un voisin qui a assisté aux faits alors qu’il regardait par-dessus la clôture.

Les reconstitutions faites à partir du témoignage de la fille de la victime et du voisin montrent que l’accusé a porté des coups à son frère alors qu’il était au sol. Mais la jeune fille, comme précédemment, revient sur son témoignage. « Ça ne s’est pas passé comme cela », appuyé en cela par toute la famille qui fait bloc derrière l’accusé. Quant au voisin qui a été interrogé hier, lui a bien maintenu sa version. Son témoignage aux gendarmes précisait même que la victime, Heifara, quand il était saoul se battait uniquement avec son frère, contrairement à celui-ci qui se battait avec tout le monde dans le quartier. Un témoignage qui remet en cause le portrait de Rudy tracé par la famille comme quelqu’un de gentil et celui de Heifara comme le semeur de trouble.

« Quant à la légitime défense, il faut que le danger soit réel, et là, ce n’est pas le cas »

En début d’après-midi à la reprise des débats, la défense émet le souhait d’inscrire la question de la légitime défense parmi les questions sur lesquelles les jurés auront à prendre position. La présidente de la cour d’assise prend note.

C’est à l’avocate des parties civiles, Me Bambridge qui représente les filles de la victime, de prendre la parole. « On ne connaît pas les raisons de ces disputes incessantes entre les deux frères. On parle de jalousie, mais la cause, personne ne la connaît.(…) Ce sont des frères chien et chat » avance-t-elle. Pour elle, « les disputes ont dégénéré à cause de l’alcool pour les deux frères, et du cannabis pour Rudy. Ils s’aiment beaucoup et quand ils sont ivres morts, ils se disputent. »

Pointant du doigt l’accusé, « il dit qu’il a eu peur de son frère et de son bâton. Mais il était saoul son frère, c’était facile pour lui de le mettre à terre. » Elle poursuit, « même si le pardon lui est accordé comme le demandent ses nièces, les filles de la victime, il me semble important que la justice se prononce sur ce drame. » Puis à l’adresse des jurés, « Ils vous appartiendra d’apprécier les faits. Les rapports des psychiatres, pas d’accord entre eux, les témoignages des voisins et de la famille. Quant à la légitime défense, il faut que le danger soit réel, et là, ce n’est pas le cas. »

« Il faut sauver Rudy »

« C’est une affaire grave et dramatique. Grave, un homme a tapé un autre. Dramatique, il y a eu une victime, et vous aurez à juger l’accusé pour des coups mortels sur son frère », attaque l’avocat général. S’ensuit un résumé des faits, où il évoque le changement de version des témoignages de la famille, relève que l’accusé « a un casier qui montre son appétence pour les stupéfiants et une violence certaine » et aussi les avis différents des psychiatres. Pour l’homme à la robe rouge, « il y a une alliance objective de la famille. Il faut sauver Rudy ! » Haussant le ton, « ils sont tous revenus sur leur témoignage, une stratégie de défense inopérante au vu du dossier ».

Quant à la légitime défense, « si elle est retenue, vous ne pourrez pas prononcer une peine. » Il développe, « pour qu’il y ait légitime défense, il faut une attaque imprévisible et que la réponse soit proportionnelle à l’attaque. C’est une nécessité absolue ! L’accusé n’a pas dit qu’il craignait pour sa vie. C’est lui qui s’est avancé vers la victime qui ne faisait que l’insulter… l’agresseur verbal est devenu l’agressé physique ! De plus, le fait qu’il se soit acharné sur la victime quand elle était au sol, exclut de fait la légitime défense. Je vous demande de ne pas la retenir. » Il marque un temps, parcourt du regard les jurés puis, « je vous demande de retenir l’altération du discernement à l’égard de l’accusé au moment des faits. »

Il requiert la peine de huit ans de prison assortie d’un suivi socio-judiciaire de 10 ans avec injonction de soins, « il faut l’obliger à se soumettre à des mesures de surveillance et d’assistance pour que l’on ne le revoie plus ici. »

La défense rentre dans l’arène

C’est à la défense de prendre la parole en dernier. Me Dubois s’avance, la tête rentrée dans les épaules, comme un rugbyman dans la mêlée. « Vous devez juger Rudy pour ce qu’il a fait ce soir-là, du 28 mars, pas sur son passé. Ce soir-là, il est sobre. Ce soir-là, ce n’est pas lui qui menace. C’est Heifara. Ce soir-là, ce n’est pas lui qui donne le premier coup. C’est Heifara. »

Revenant sur les témoignages versatiles de la famille, notamment des filles de la victime, « aucune n’a donné la même version, et le voisin non plus ! L’une dit que son père était sur le dos, l’autre qu’il était sur le ventre les mains dans le dos. Mon client, lui, n’a jamais changé de version ! Il a toujours dit qu’il n’avait pas donné de coups à son frère quant il était à terre. »

Sa voix se fait plus douce, intime. « Qu’est-ce qu’il nous reste si on prend les points concordant des témoignages ? Il nous reste quoi ? Deux hommes qui se donnent des coups de poings, qui se battent et l’un d’eux tombe à terre. Point. »

Il se place au centre de la salle, face aux jurés. « Vous savez, ça va très vite une bagarre, 10, 15 secondes pas plus. » Puis soudain, public, juges, gendarmes et jurés sont plongés dans une autre dimension. L’avocat se métamorphose et fulmine, il se met à hurler à faire trembler les murs de la salle. « Eure, titoi, paratoi, viens te battre, viens mon frère, viens te battre ! » Il se dirige en trombe vers le box ou accusé et gendarmes le regardent bouche bée et se met à donner des coups de pieds dans la balustrade en métal tout en vociférant, « viens te battre mon frère, viens te battre. » Il se retourne vers les jurés, la sueur au front,  et leur dit calmement, « cela ne vous énerverait pas, ça ? »

Juges et jurés en restent ébahis ; même dans les séries télé, on ne voit pas de telle scène. Effet garanti. Il poursuit, le souffle court, « j’ai beau prendre le dossier par tous les bouts, il y a légitime défense. Comment vous vous seriez comportés avec un tel individu qui vient vers vous et tente de vous donner un coup de bâton ? » Si cela était nécessaire, il cite un texte de loi, « il y a présomption de légitime défense quand on repousse de nuit, l’entrée par violence dans un endroit habité. Et dans notre cas, on a les trois éléments. » Il l’assure, « tout cela fait que vous retiendrez la légitime défense. »

« Tout le monde a vu qu’il avait un petit souci »

Mettant tout de même un garde-fou, « si vous ne la retenez pas, vous devez vous poser la question de l’altération du discernement. » Il désigne Rudy, « je ne lui ferais pas offense, mais tout le monde a vu qu’il avait un petit souci. On ne fait pas des séjours à Vaiami puis à l’hôpital psychiatrique quand on n’a rien, pas d’altération ! Vous retiendrez l’altération et vous jugerez en fonction de cela, et vous suivrez les réquisitions de l’avocat général qui ne me choquent pas. » Il se rassoit, épuisé.

« Accusé, levez-vous, ordonne la présidente de la cour d’assises, avez-vous quelque chose à ajouter avant que l’on aille délibérer ? »

Rudy se lève, s’approche de la barre, réfléchit puis, des larmes dans la voix, il dit, « je suis désolé de ce qui s’est passé, je ne voulais pas que ça se passe comme ça. Je ne voulais pas que mon frère meure, il me manque mon frère, il est toujours dans mon cœur. Je n’ai pas envie de sortir de prison, je veux assumer les bêtises que j’ai faites. Je demande la clémence du tribunal pour que je change de comportement à la sortie, que j’aide mes nièces. »

Les jurés ont été au-delà des réquisitions de l’avocat général et ont condamné Rudy à 10 ans de prison ferme.

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