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Édouard Fritch : « on ne pourra pas gagner si on est tout seul »


Un front contre le Tavini, c’est ce que veux le Tapura pour le second tour du 30 avril. Son chef de file lance donc un appel à la « famille » autonomiste, et prépare une fusion avec la liste du Amuitahira’a de Gaston Flosse, qu’il a rencontré pour la première fois en près d’une décennie. Le président assure que les « problèmes de personnes » peuvent être réglés, et que les rouge et orange ont de nombreuses « bases communes ». Pas question en revanche de transiger sur la souveraineté associée ou le retour de certains grands projets : côté programme, « je reste droit dans mes bottes », assure le président sortant.

En matière électorale, et « comme dans tout sport, il faut rester optimiste jusqu’au dernier coup de sifflet ». C’est ce qu’affirme Édouard Fritch, invité du Quart d’heure de campagne ce matin et qui avait affiché cet optimisme dès dimanche soir. Et pourtant on aurait pu s’imaginer que les 5 500 voix de retard sur le Tavini avait de quoi plomber le moral de la majorité, battue dans de nombreuses communes où les tavana sont pourtant acquis à leur cause. Oui mais voilà : la « vague bleue » avait été annoncée de longue date et le chef de file des rouge la voyait même « beaucoup plus grande, à entendre ce qui se disait autour de nous ». Pour le président en poste depuis 9 ans, le parti indépendantiste ne serait si haut dans les urnes « que grâce à la division des autonomistes » qui restent « majoritaires dans la population ». Édouard Fritch, à qui il a été reproché de vouloir « cristalliser » le débat sur la question statutaire, appelle une nouvelle à « faire attention » aux élus indépendantistes qui tenteraient de faire oublier le fond de leur combat. « Ça me rappelle la veille des élections législatives où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Et dès que les députés ont été élus, on a vu ce qu’ils ont fait à l’Assemblée nationale : pas grand chose sinon demander à ce que la République quitte la Polynésie, explique-t-il. Moi je ne le veux pas. Je pense qu’on sera en très grande difficulté à la sortie des crises graves que nous avons connues – la pandémie, la crise économique et l’inflation – nous serions en grand danger si nous nous séparions de la France ».

Sans les maires, « le Tavini serait passé au premier tour »

Malgré la seconde place du Tapura – et les 16 000 voix en moins par rapport à 2018 – le président sortant estime donc que son parti s’est « bien mobilisé » autour de ses comités, et surtout autour de ses maires, une trentaine sur la liste, et une quarantaine parmi les soutiens. Ce pari sur les tavana a été critiqué par la plupart des opposants au parti majoritaire, notamment par Nuihau Laurey, qui fait le lien entre cette « allégeance » et la course aux subventions. Et considère que le premier tour a prouvé « l’échec » de cette stratégie. « Il se trompe », répond Édouard Fritch. « Je reste convaincu que demain la présence de maires à l’assemblée, et donc de personnes qui sont concernées directement par la vie de la population, ça va changer beaucoup de choses dans les discussions à Tarahoi », explique-t-il. Le président-tavana continue de croire que les « maires vont nous apporter des voix » : « Franchement, si les maires n’étaient pas sur la liste du Tapura, le Tavini serait passé au premier tour ».

L’heure n’est pourtant plus à l’analyse des résultats, mais aux discussions pour le second. Et aux alliances : les partis ont jusqu’à ce mardi soir, 18 heures pour déposer des listes modifiées au Haut-commissariat. Pas question de changer l’ordre des noms ou d’en ajouter, mais ceux qui sont qualifiés pour le 30 avril peuvent « panacher » leur liste avec celle d’autres mouvements ayant réalisé plus de 5% des suffrages.

Premier tête à tête en près de 10 ans avec le Vieux Lion

Hors de question de fusionner pour le Tavini et A here Ia Porinetia. Le Tapura, lui, est au contraire très volontaire pour de telles alliances. Car Édouard Fritch veut être clair : son parti « ne pourra pas gagner si il est tout seul ». « On ne peut plus aujourd’hui prendre de risque et il faut à tout prix faire appel aux électeurs autonomistes des autres listes, notamment celles qui sont éliminées ». Un appel aux électeurs mais aussi aux « leaders » des listes « autonomistes ».

Le président sortant s’adresse bien sûr à Ia ora te nunaa – près de 5 400 électeurs – et à Teva Rohfritsch, qui a prévu une conférence de presse mercredi et avec qui il espère enfin avoir un contact aujourd’hui. Mais de ce côté, il ne peut être question que de soutien, éventuellement de promesses de postes dans l’exécutif ou d’intégration de certains projets dans le programme. Pas de fusion. Pour ça, le regard est exclusivement tourné du côté du Amuitahiraa, la seule liste non qualifiée pour le 30 avril qui passe la barre des 5% des suffrages exprimés. Avec 11.9%, et près de 15 000 voix au premier tour, l’alliance pourrait être une chance de rattraper son retard sur le Tapura. Édouard Fritch a donc rencontré hier son ancien mentor et toujours homme fort des orange, Gaston Flosse. Un premier tête-à-tête depuis près de dix ans, note l’ancien vice-président du Vieux Lion, qui n’a pas tari de critiques, toujours plus acerbes, envers son ex-dauphin ces dernières années. « Je dois avouer que c’est un choc, bien sûr, vous connaissez les relations que j’ai avec cet homme. Mais on est restés très pragmatiques, assure-t-il. Gaston Flosse est un redoutable négociateur, on le sait tous en Polynésie, mais c’est aussi un homme résigné aujourd’hui à empêcher que le Tavini Huiraatira revienne au pouvoir ».

Qui intégrer, qui évincer, comment ne pas choquer ? 

Gaston Flosse au premier rang d’un front autonomiste ? Étonnant vu la tournant souverainiste qu’a pris le Vieux Lion a partir de 2019 et qu’il a confirmé au changement de nom du Tahoera’a en Amuitahira’a o te nunaa maohi, l’année dernière. Si les orange n’ont pas beaucoup mis en avant leur projet d’état indépendant associé à la France lors de cette campagne, le président du parti a bien répété que l’autonomie avait atteint ses « extrêmes limites » et qu’il fallait l’enterrer. La souveraineté, « c’est l’objectif qu’il s’est donné, mais il travaille sur les 10 ans à venir », tempère Édouard Fritch. « Bien sûr que ça peut être un danger, mais je pense qu’au Tapura et au Amuitahiraa, on retrouve des bases communes ». Au Tapura – et d’ailleurs chez beaucoup de candidats de A here ia Porinetia – on a été à « la même école », on a « le même langage, le même discours » : « celui que Gaston m’a appris et que j’ai répété pendant des années », détaille le président sortant. Quant au « problème de personne » qui a causé le départ de beaucoup, il ne se poserait pas puisque Gaston Flosse, inéligible car condamné, « n’est pas sur la liste », « ne peut pas se présenter ». « C’est une personne qui est là pour accompagner son pays. Il a des idées qu’il fait adopter par son groupe. Mais je pourrais leur faire confiance », assure Édouard Fritch.

L’enjeu ? « maintenir notre pays au sein de la République »

Reste qu’il faut s’accorder, sur des noms de candidats orange transférables sur la liste rouge. Sur des noms de candidats Tapura qui serait relégués plus bas sur la liste aussi, voir même évincés. « C’est pas facile. Ça peut provoquer des réactions chez eux ou leurs soutiens », rappelle le président sortant. La question, c’est aussi celle de l’acceptation par les électeurs de cette cuisine électorale. Hier encore Moetai Brotherson l’affirmait : « Ces négociations de marchand de tapis, les Polynésiens ne veulent plus en entendre parler ». Il faudra convaincre, côté Tapura mais surtout côté Amuitahiraa, reconnait Édouard Fritch : « Il faut trouver une manière intelligente d’attirer ces voix ». Une fusion risquerait-elle de pousser davantage d’électeurs vers la « troisième voie » proposée par A here ia Porinetia ? Cette troisième voie, Édouard Fritch n’y croit pas : « C’est toujours pareil en Polynésie, le foncier est très étroit, on a beaucoup de mal à créer une troisième voie, sourit-il. La réalité du combat que nous menons , c’est de maintenir notre pays au sein de la République. Car la République peut encore beaucoup nous protéger, beaucoup nous accompagner dans nos investissements ».

Édouard Fritch affime en revanche que l’éventuelle fusion avec la liste du Amuitahira’a – soue le nom de Tapura Huiraatira, comme le veut la loi – se fera sur la base du programme rouge. Pas question de remettre sur la table le Mahana Beach ou la ferme aquacole de Hao, projets pourtant centraux dans la campagne des orange, « je veux rester droit dans mes bottes ». En revanche, après 9 ans au pouvoir avec une majorité très bien installée à l’assemblée, et après l’échec des législatives, le président dit avoir compris « qu’un seul parti ne plus diriger seul le pays ». « Il faut changer la gouvernance. pour la rendre « ouverte » à d’autres partenaires. L’idée serait de créer « une plateforme où toute la famille autonomiste puisse se regrouper, en respectant les structures des uns et des autres ». Mais le seul impératif, c’est bien « de gagner ».

 

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