ACTUS LOCALESPOLITIQUESOCIÉTÉ

Essais nucléaires : l’État présente le livre de la « transparence »

L’historien Dominique Mongin, auteur du livre publié par le CEA. ©CR/Radio1

L’invité de la rédaction de Radio1 ce mardi était Dominique Mongin, auteur de l’ouvrage publié par le Commissariat à l’énergie atomique sur les essais nucléaires en Polynésie et leurs conséquences, qui a été présenté lors d’une conférence de presse au Haut-commissariat. Issu de la table ronde Reko Tika, il participe de l’effort de transparence et de reconnaissance de la contribution de la Polynésie à la défense nationale. 1 000 exemplaires du livre sont disponibles gratuitement au Haut-commissariat, 4 000 autres suivront, et il sera mis en ligne en début d’année prochaine.

L’historien Dominique Mongin, spécialiste du nucléaire militaire français, a supervisé la publication par le Commissariat à l’énergie atomique, et plus spécialement la Direction des applications militaires du CEA, de l’ouvrage Les essais nucléaires en Polynésie française, pourquoi, comment, et avec quelles conséquences. « L’origine de ce travail c’est la table ronde de haut niveau de juillet 2021, avec une demande qui avait été formulée à l’époque d’avoir un ouvrage accessible, pédagogique et didactique, pour tout le monde, sur l’histoire des essais », rappelle l’auteur.

Le livre remplit cette mission : rédaction chronologique claire, graphiques, photos, reproductions de documents officiels mènent le lecteur des raisons qui ont conduit la France à faire des essais nucléaires et à choisir la Polynésie pour cela, à la conduite des essais, leurs conséquences sanitaires et environnementales et l’évolution de l’État face à la question de l’indemnisation, jusqu’à la phase actuelle, celle de la reconnaissance de la contribution de la Polynésie française et de la commémoration des victimes. L’ouvrage regorge de références et de liens Internet, dont les plus récents vers certains documents déclassifiés. La démarche de transparence a été anticipée par le CEA, qui avait commencé en février 2020 une déclassification de certains de ses documents pour répondre à la demande des chercheurs, explique l’historien.

Réfutation de l’enquête Toxique

Pour Dominique Mongin, la démarche de transparence de la France « n’est pas nouvelle. » Le livre ne remet en cause aucune des différentes études officielles menées au fil des ans par l’armée ou des organismes indépendants internationaux, qui restent valides même à la lumière d’éléments déclassifiés : « Elles ne sont absolument pas remises en cause, au contraire, elles sont tout à fait étayées. Pour nous, la référence, c’est l’ouvrage de 2006 qui avait été publié par le ministère de la Défense, La dimension radiologique des essais nucléaires, ce sont des données qui n’ont jamais été remises en cause sur le plan scientifique. »  Ainsi, il réfute les conclusions de l’enquête Toxique publiée l’an dernier par Disclose, et sa modélisation des contaminations potentielles ; il estime que les journalistes ont extrapolé les données pour les faire coïncider avec leur hypothèse.

Dominique Mongin explique aussi pourquoi certains documents, ceux qui concernent des « informations proliférantes », restent classifiés : si la « recette » a changé depuis 50 ans, des informations sur les composants de la bombe française qu’on pourrait déduire du type de résidus présents à Moruroa et Fangataufa représentent encore un danger potentiel : « un État proliférant, aujourd’hui, ne va pas s’intéresser aux armes hypermodernes, il va s’intéresser à la première génération d’armes disponibles. C’est la raison pour laquelle on est extrêmement ferme sur ce plan. »

Le livre édité par le CEA explique que les études ont pris en compte les doses maximales pratiquement jamais atteintes dans la réalité, que le seuil d’exposition qui ouvre droit à l’indemnisation a baissé au point d’être inférieur à la radioactivité naturelle, que la surveillance radiologique a été poursuivie alors qu’un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique ne le jugeait plus nécessaire : la France en ressort comme extrêmement prudente, et généreuse dans ses critères de prise en compte des victimes. Mais Dominique Mongin ne comprendrait pas, dit-il, que ce constat soit mis en doute : « le problème c’est qu’on puisse mettre en doute la parole officielle, et a fortiori dans un domaine aussi sensible que la défense nationale. J’insiste là-dessus parce que quand vous travaillez pour la défense nationale, ce n’est pas pour des intérêts privés, c’est pour protéger vos concitoyens. »

Des atolls qui resteront interdits d’accès

Sur la question du « nettoyage » de Moruroa et Fangataufa, le CEA est clair : le remède pourrait être plus dangereux que le mal, car la matière radioactive pourrait diffuser dans l’environnement, ce qui n’est pratiquement plus le cas actuellement ou de manière non significative pour l’humain et l’écosystème. Pas question non plus de les rendre à la Polynésie, pour éviter que des puissances étrangères viennent étudier les sites.

Il réfute le lien que certains veulent voir entre la décision d’installer le CEP au fenua, qu’il date de 1962 seulement, et le sort réservé à Pouvanaa a Oopa : « D’après les recherches que j’ai pu mener, il n’y a pas de lien, » affirme Dominique Mongin. Il coupe également court à l’idée d’un lien direct entre le nucléaire militaire et le nucléaire civil qui pourrait être utilisé comme argument pour demander à la France une partie des bénéfices d’EDF : « À  ma connaissance il n’y en a aucun. »

Le livre n’aborde pas, en revanche, les conséquences sociétales des essais nucléaires. Ce n’était pas sa mission première, dit Dominique Mongin, qui rappelle que l’étude de Renaud Meltz commanditée par le Pays, elle, aborde ces questions, et qu’un jeune historien polynésien qui bénéficie d’une bourse du ministère des Armées aura accès aux archives : il souhaiterait le rencontrer et se déclare prêt à l’aider.

Enfin Dominique Mongin juge que le futur Centre de mémoire des essais nucléaires est « indispensable » et souhaite que sur ce sujet, le dialogue interrompu avec les associations reprenne.

Un effort de transparence « sans précédent » et « sans équivalent », dit l’État.

En 136 pages le livre se propose de faire le point sur l’histoire des essais et de leurs conséquences, sans tabou mais sans caricatures, promettent les auteurs. Un ouvrage « accessible à toutes les classes de la société et pas seulement aux scientifiques », contrairement à d’autres documents publiés par le Commissariat à l’énergie atomique, a précisé Vincenzo Salvetti, Directeur des applications militaires (DAM) au CEA. 1 000 exemplaires sont déjà arrivés au fenua, 4 000 autres sont en chemin, et ils devraient être distribués gratuitement, au travers notamment des librairies  et des établissements scolaires et universitaires.

Le responsable, accompagné de son directeur adjoint, et du chef de projet environnement du CEA, Antoine Tognelli, ont rencontré ce mardi des enseignants, puisqu’ils « espèrent fortement » que cet ouvrage puisse servir d’outil pédagogique en milieu scolaire.

La délégation doit aussi rencontrer des associations anti-nucléaires, mais à ce stade, seul Tamarii Moruroa a répondu à l’invitation. « Pour dialoguer, il faut être deux », regrettent le haut-commissaire Éric Spitz comme Vincenzo Salvetti, qui estime que l’effort de transparence de l’État est « sans précédent » mais aussi « sans équivalent » au niveau international. La mission devrait aussi être l’occasion de parler du centre de mémoire, projet piloté par le Pays, mais auquel le CEA a accepté de participer et qu’il voudrait voir avancer plus vite.

Du côté du Haut-commissariat, on précise qu’avec la publication de cet ouvrage, la « quasi-totalité des engagements » pris par Emmanuel Macron à l’occasion de la table ronde Reko Tika et de sa visite au fenua ont été remplis, de l’ouverture des archives « à 99,95% », informations proliférantes obligent, à la dépollution de Hao en passant par la mission « allez vers » pour les indemnisations.

Charlie Réné

Article précedent

La minute de l entrepreneur 29/11/22

Article suivant

Troisième mandat : Fritch pourrait-il inspirer Macron ?

Aucun Commentaire

Laisser un commentaire

PARTAGER

Essais nucléaires : l’État présente le livre de la « transparence »