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La Cour des comptes prend Air Tahiti Nui en (mauvais) exemple de la défiscalisation

La Cour des comptes, plus haute juridiction financière de l’ordre administratif en France, a examiné l’aide fiscale accordée en 2019 à Air Tahiti Nui pour le renouvellement de sa flotte. Prenant l’opération comme exemple d’une « dérive », « sans effet réellement incitatif sur l’investissement, sans risque et très rémunératrice pour les investisseurs, et coûteuse pour les finances publiques. »  La Cour des comptes appelle l’État à être plus sélectif vis-à-vis des projets qui bénéficient de ce dispositif : le choix de Boeing plutôt qu’Airbus, et l’impact de ce choix sur l’emploi français, est notamment pointé du doigt. Et à refondre le dispositif, en musclant ses critères d’agrément.

Le rapport de la Cour des comptes publié ce mercredi sur « la mise en œuvre du dispositif fiscal « Girardin industriel », à hauteur de 115 millions d’euros (13,7 milliards de Fcfp) pour le renouvellement de la flotte d’Air Tahiti Nui », n’est pas tendre avec ce dispositif instauré en 2003.

La demande d’agrément de la compagnie au tiare pour deux de ses quatre avions remonte à 2017, et avait été approuvée en 2019. Mais, écrit la Cour des comptes, « intégrée de facto dans le plan de financement de l’investissement bien avant l’agrément reçu, l’aide a été secondaire dans la décision d’investissement d’ATN, qui l’aurait mené à bien même sans aide de l’État. »  Car il est souligné que le contrat d’achat avec Boeing avait été signé en 2015. « La procédure d’agrément a révélé le caractère insuffisant des critères légaux pour un investissement de cette ampleur. L’impact sur l’emploi en fonction de l’origine des avions acquis – des Boeing plutôt que des Airbus – ne paraît à cet égard pas avoir été suffisamment apprécié au regard des intérêts économiques et sociaux de l’ensemble du territoire français et européen. » Notons qu’à ce type de critique la compagnie répondait déjà que les appareils Boeing n’avaient à l’époque pas d’égal chez Airbus en termes de consommation de carburant : « Nous avons réduit l’empreinte carbone de 35% », disait le P-dg Michel Monvoisin à Air Journal.

Rentabilité exceptionnelle pour les banques

Est aussi pointé, du fait de l’autonomie fiscale de la Polynésie française, « un niveau de complexité rarement atteint » qui « repose, au-delà de la société exploitante, sur de multiples acteurs : banques finançant l’achat des avions et leurs garants ; arrangeurs fiscaux à l’origine du montage et leurs filiales locales ; sociétés de portage jouant le rôle de bailleur locatif ; investisseurs fiscaux associés desdites sociétés et maisons-mères des investisseurs. » En outre, les banquiers d’ATN bénéficient d’un régime d’amortissement dérogatoire qui leur permet de profiter d’une diminution supplémentaire de leur résultat imposable : « Pour un apport de 97 millions d’euros immobilisés seulement la première année, recouvré à 90% dès la deuxième année et en totalité la troisième année » l’opération leur a permis « d’enregistrer au terme des cinq années un bénéfice de 11 millions d’euros, soit une rentabilité très élevée au regard des sommes réellement immobilisées. » Conclusion : « L’avantage fiscal « Girardin industriel », dans le cas de la société ATN, bénéficie de fait moins à l’entreprise concernée qu’à des banques désirant réaliser un placement financier rémunérateur sans recourir aux arbitrages de risque qui sont propres à un investisseur du secteur productif. »

Un suivi perturbé par la crise sanitaire

La Cour des comptes note que la Direction générale des finances publiques « a accepté une diminution des effectifs de la compagnie aérienne de plus de 15 %, une exploitation réduite des avions et un mode de calcul du ratio de couverture dispensant l’entreprise exploitante de consigner des fonds de trésorerie pour compenser la baisse de valeur des avions. » On se souvient que si la compagnie abordait la crise sanitaire avec 6 mois de trésorerie en réserve, soit en moyenne le double des autres compagnies aériennes, elle avait tout de même eu besoin d’une avance en compte courant du Pays de 2,1 milliards de Fcfp en octobre 2020, pour compenser ses pertes de près de quatre mois de fermeture des frontières. « La Cour ne conteste pas le bien-fondé de ces mesures exceptionnelles, mais estime néanmoins nécessaire de reconsidérer le dispositif de défiscalisation, son niveau de risque et son utilité économique réelle. » S’y sont ajoutés ensuite un prêt garanti par l’État et les aides aux coûts fixes, ainsi qu’une partie du 2e PGE contracté par le Pays. « Si le maintien de l’emploi doit être rapproché du montant de la dépense fiscale » cela représenterait, « pour chaque emploi maintenu, un coût exorbitant », écrit la Cour des comptes.

En conclusion, la Cour des comptes appelle l’État, accusé d’avoir « omis » dans sa présentation au Parlement de mentionner qu’au final, divers bénéficiaires ont pu dégager plus de 30 millions d’euros de déduction fiscale, à refondre ce dispositif « a minima s’agissant du transport aérien » et à muscler ses critères d’agrément.

La Cour des comptes formule donc les quatre recommandations suivantes :

  • Ajouter aux critères d’agrément de l’aide fiscale à l’investissement outre-mer définie au code général des impôts la prise en compte des intérêts économiques et sociaux de l’ensemble du territoire national et européen, dans le respect des règles de concurrence européennes et internationales ;
  • Imposer, dans le cadre de l’agrément d’opérations de défiscalisation d’investissements productifs outre-mer d’un montant supérieur à 100 M€, une analyse socio-économique préalable, telle que prévue à l’article 17 de la loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 201217et au décret n° 2013-1211 du 23 décembre 201318;
  • Afin d’éviter un partage déséquilibré du risque lié à l’investissement, prévoir dans le cas d’une opération d’envergure, une étude comparative permettant de s’assurer que les investisseurs fiscaux supportent un aléa minimal conforme aux bonnes pratiques de leur secteur ;
  • Approfondir le suivi lié à l’octroi de l’agrément fiscal de manière à ce que l’administration dispose d’une information complète sur l’effet économique et financier de l’aide pour l’exploitant, ainsi que sur l’avantage obtenu par l’investisseur fiscal.
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