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Les nerfs à vif

Deux jeunes gens étaient présentés en comparution immédiate ce jeudi pour vols. Une tranche de vie du tribunal et de deux adolescents à la dérive ne sachant que faire de leur vie, à part se livrer à l’ivresse et aux paradis artificiels.

Dans le hall du tribunal de Papeete, l’ado tranche par son habillement, plutôt bien mis, mais aussi par son attitude. Regards par en dessous de gauche à droite, mouchoir de tissu blanc trituré, malaxé par des mains nerveuses, tressautant de tous ses membres et reniflant à s’en faire péter les cloisons nasales.

Il pénètre dans la salle d’audience comme un gosse frondeur convoqué dans le bureau du surveillant général. La boule au ventre, mais plutôt mourir que de le laisser paraître. S’assied près du box des prévenus, tête baissée et les jambes dansant la gigue. Et toujours le mouchoir qu’il plie, déplie et qu’il porte de temps à autres à son nez pour se moucher ou s’éponger le front.

Deux jeunes en déshérence

Son acolyte arrive dans le box des accusés encadré par deux gendarmes. Lui est plus calme et sa dégaine est plus raccord avec le cadre habituel des comparutions immédiates. Short, t-shirt et tatouages. Ils comparaissent tous deux pour avoir fracturé un entrepôt d’un magasin et dérobé 18 canettes de bière, des packs du même breuvage et aussi… des savons et des déodorants. Ils ont tous deux la vingtaine, et ce sont des potes d’errance.

Interrogé, le calme explique qu’il était « bourré » au moment des faits et que son copain aussi. « On a bu deux bouteilles de pastis (….) c’est moi qui a eu l’idée d’aller voler l’alcool car on avait plus rien à boire. ». Pour pénétrer dans l’entrepôt ils ont escaladé le grillage puis cassé le cadenas à coup de pied.

« Vous étiez alcoolisés et vous avez trouvé le moyen d’escalader le grillage ? Vous ne deviez pas être si bourrés », s’étonne le juge Fragnoli. « Si beaucoup ».

En bruit de fond les reniflements et les soupirs de son copain se font entendre. S’adressant à lui, le juge demande « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? ». Debout à la barre, reniflant, soupirant et agité, il ne répond pas. « Qu’est-ce que tu fais de tes journées ? » Il fait enfin entendre le son de sa voix, cassée et à peine audible. « Je travaille pas ». « Il faut que tu te remettes au boulot. » « Ouais », « Le tribunal peut agir pour t’obliger à chercher du travail ». Pour toute réponse, reniflements, malaxage de mouchoir, soupirs et regards teintés de rouge tout autour de lui. Soit il a un sacré rhume et des médicaments aux effets secondaires carabinés, ou c’est autre chose que la loi et la morale réprouve. On apprendra qu’il vit chez son père qui est un ancien mutoi à la retraite, qu’il a un enfant qu’il a reconnu, mais qu’il ne peut pas voir car sa mère ne veut pas.

Sdf avec son père

Son copain lui, reste calme, on apprend au fil de l’audition qu’il fume « de temps en temps du paka », qu’il vit sous un pont avec son père depuis deux ans, que sa mère ne veut pas de lui chez elle, car « je fais trop de conneries » et qu’il travaille de temps à autre comme jardinier. « T’as des grands parents ? » «Une grand-mère » «  Et tu ne peux pas loger chez elle ? », « Y a déjà mon petit frère et mes sœurs », « C’est mieux d’être à l’étroit que dans la rue, non ? » « Oui ».

Son casier comporte neuf condamnations, toutes pour vol ou recel. Il a été convoqué plusieurs fois par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation, mais ne s’est jamais rendu aux convocations. Le juge lui explique qu’il faut qu’il se présente au Spip car cela peut l’aider pour trouver du travail et sortir de sa situation. Il acquiesce mais explique qu’il n’a jamais recu de courrier. Le juge va dans son sens estimant que s’il vit dans la rue, difficile de le contacter.

Coup de tonnerre dans le tribunal

C’est au tour du procureur Danielsson de s’exprimer.  « Il est en marginalisation depuis quelques années, il travaille de temps en temps mais dépense son argent dans l’alcool. La détention serait bien pour lui, cela pourrait permettre de lui trouver une formation et du travail. » Évoquant son casier, « Je ne vois pas comment il pourrait échapper à l’incarcération. Je demande six mois ferme et son maintien en détention. »

Reniflement et hurlement de colère, « Je veux qu’il sorte de prison. Il a assez souffert. Regardez nos yeux. Vous avez qu’à nous tuer», hurle l’agité en regardant le procureur. Celui-ci se redresse, et lui aussi hausse le ton. «De quoi tu parles, tu ne connais pas la prison » puis crescendo, « tu veux connaître la prison ? » Sa voix tonne et résonne dans la salle d’audience, parfois en reo Tahiti, et ses yeux semblent lancer des éclairs, ce qui a pour effet de calmer subitement le prévenu.

Puis posément, le désignant du doigt, « Ce jeune homme est triste et en colère, (…) je réclame six mois de prison dont trois avec sursis. »

Le juge s’adresse alors à lui, « tu consommes de l’ice ? ». « Oui » répond-t-il timidement. « Comment tu te procures l’argent ? » « Je vends du paka ». « Tu as envie d’arrêter ? » «Oui, avoue-t-il tête baissée, mais c’est dur ».

Le calme sera condamné à 3 mois de prison et maintenu en détention, « Il faut tu sortes de cette spirale », lui explique le juge. Quant à l’autre, trois mois de prison avec sursis et 117 heures de travaux d’intérêt général avec obligation de soins. « Il faut que tu arrêtes cette dépendance à l’ice et à l’alcool. »

Accompagné de sa famille, il quitte le tribunal toujours excité, prenant au passage une grande claque dans la nuque de la part d’un de ses proches.

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