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Nucléaire : discussions « sans filtre » à Rikitea

Après la commission d’information sur les conséquences des essais mercredi soir à Papeete, Éric Spitz a voulu a aller présenter les principaux résultats dans les îles les plus concernées. Direction les Gambier, hier, en compagnie d’une délégation de scientifiques, militaires et haut fonctionnaires de l’État. Une démarche saluée par les élus mais qui ne suffit pas à rétablir la confiance avec une partie de la population.
Éric Spitz l’avait dit dès son arrivée à Tahiti-Faa’a : le sujet du nucléaire serait, dans la lignée des engagements pris par Emmanuel Macron en 2021, une des priorités de sa mission. Pas une surprise, donc, si pour son premier déplacement officiel, le nouveau Haut-commissaire a choisi les atolls les plus proches des sites de tirs, et les plus concernés par leurs retombées. Mangareva ce jeudi, avant Tureia le lendemain et Hao la semaine prochaine. Un déplacement collectif – avec une demi-douzaine de membres de la commission sur les conséquences des essais qui s’est tenue mercredi à Papeete – et qui a débuté par un accueil chaleureux aux Gambier. Couronnes qui s’empilent, écoliers qui chantent et visites de sites qui s’enchainent, de la rénovation de l’école au futur dépôt de carburant… Le tavana Vai Gooding veut montrer que la commune a des projets, le Haut-commissaire rappelle que l’État est là pour les soutenir.
« L’État nous a abandonnés » 
Mais c’est bien le rendez-vous à la mairie de Rikitea, hier soir, qui constituait le point d’orgue de la journée. Des films en français et en tahitien – une première – pour résumer les dernières mesures sur les traces de radioactivité dans l’alimentation ou sur les potentiels glissements de terrain sous-marin sur les anciens sites d’essais, tout proche. « Pas de risque », un « retour à la normale », « pas de raison de s’inquiéter » , et une surveillance qui « continue ». Le discours était le même qu’à Papeete la veille. Mais face aux scientifiques, militaires et haut-fonctionnaires, comme le préfet chargé de suivre le dossier du nucléaire polynésien par Matignon, Michel Marquer, il y a cette fois des Mangareviens, qui, pour beaucoup ont été marqués dans leur chair.
« On aurait encore nos parents si vous n’aviez pas emmené toutes ces merdes chez nous, excusez moi de le dire », rappelle Jerry Gooding, perliculteur. Beaucoup dans l’assistance acquiescent quand ce membre de l’association 193 met en doute les « certitudes » des scientifiques. « L’État pensait que l’essai de 1966 ne nous toucherait pas, c’était sûr » rappelle-t-il. L’Histoire est connue de tous. Un premier tir « raté », de mauvais calculs météo, un nuage radioactif qui file vers les Gambier, la population gravement exposée et surtout pas informée du danger. « Alors que les officiels ont été évacués », pointe-t-on dans l’assistance. « L’État a failli à ses responsabilité, nous a abandonnés » reprend Jerry Gooding. Cette « page sombre » de l’histoire, hors de question de la discuter. Éric Spitz rappelle le « manque de connaissance de l’époque », qui a amené l’armée à mettre en danger ses propres troupes. Quand certains citent le livre Toxique, le Haut-commissaire renvoie d’avance vers l’ouvrage historique que s’apprête à éditer le ministère des Armées et qui « ne cachera rien » pas même les « essais sales ».
Se « tourner vers l’avenir »
Pas de quoi, pour l’instant, rétablir la confiance avec tout le monde. Le Haussaire, le contre-amiral Geoffroy D’Andigné ou la médecin chef du suivi des sites d’expérimentation, le Dr Petit, apportent bien les précisions demandées, sur les indemnisations, les réparations, les dépollutions… Mais comment croire l’État sur le risque d’affaissement « très faible » de Moruroa, qui de toute façon ne serait ressenti que comme une « petite vague » aux Gambier ? Ou sur la transmission transgénérationnelle, « à l’heure actuelle écartée par les études » et sur laquelle la communauté scientifique internationale « continue à travailler » ? Pourquoi est-ce si difficile d’enlever les derniers déchets radioactifs de Fangataufa et Moruroa, « alors que Thomas Pesquet va dans l’espace comme on prend l’avion » ? Et surtout pourquoi ne pas demander « pardon » ? Les échanges sont toujours restés polis, attentifs, mais aussi sans filtre, « sans fard » comme Éric Spitz l’avait annoncé.
 Surtout ils ne paraissent pas faire varier les positions. Celle du tavana Vai Gooding est de se « tourner vers l’avenir ». L’État c’est avant tout un partenaire financier, très présent au Gambier, où on se plaint davantage du manque d’investissement du Pays que du manque d’aides de Paris. Avec les élus locaux Eric Spitz a ainsi parlé du bétonnage des routes, de logement – avec une parcelle qui pourrait être mise à disposition par Météo France pour loger une douzaine de familles – et surtout du réseau d’eau potable – une délégation doit aller à Chartres pour étudier l’idée d’une pompe solaire qui pourrait inspirer d’autres atolls – entre autres investissements… Des chantiers à plusieurs centaines de millions de francs, auquel l’Etat pourrait prêter main forte. Au nom d’une « indemnisation de l’archipel » comme le dit le tavana ? « Parce que c’est une commune où l’on sait très bien monter des dossiers, répond le Haut-commissaire. J’ai toujours dit partout en Polynésie, si les dossiers sont bons, prêts et pour le bien-être de la population, nous les finançons sans hésiter ».
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